Depuis des années, chaque dimanche, le rituel demeurait immuable. Avec la même terne, méticuleuse et répétitive chronologie, les frères « Thomas et Quentin Cormolain, quincailliers d'appartement et de bâtiment », se réunissaient, accompagnés de leur respective épouse, à onze heures quarante cinq, dans l'appartement asniérois de Thomas, l'aîné, afin d'y partager le déjeuner. Lorsqu'au terme de la ripaille toujours généreuse et arrosée, était bu le café au rhum, le quatuor s'engouffrait dans l'exiguë quatre-chevaux remisée dans le garage attenant au magasin, et gagnait une salle de cinéma des grands boulevards parisiens.
Dont la veille, l'épouse de Thomas avait fixé la nature du spectacle sans que nul songeât à en débattre. Sortant quelque deux heures plus tard de la salle obscure, les quatre personnages se réencaquaient dans l'étroit véhicule, avec lequel ils regagneraient l'appartement afin d'y consommer les restes du repas précédent, avant que le plus jeune couple prît congé pour regagner pédestrement le logement qu'il occupait à quelques centaines de mètres du siège de l'entreprise.
[...] Il n'en espérait pas tant. - J'écris à l'avocat de mettre le paquet pour le divorce. Et à n'importe quel prix. C'est une vraie libération. Je me sens déjà plus d'attaque pour les affaires. Pour fêter cela je t'invite au restaurant tinito samedi soir. Tu verras Myria est hanahana (43). En effet, Quentin se disait qu'il fallait que fût sublime, ou dénuée de tout sentiment ou sens commun, une Myria entendant sans se rebecquer les termes du contrat tacite et unilatéral que lui imposait son tane api ; et bien qu'il se rendît sans déplaisir à l'invitation de son frère, sa curiosité à l'égard de Myria l'animait davantage que la perspective du repas. [...]
[...] Enveloppée à la tahitienne dans un paréo Justine apparut. Grande, mince, blonde, l'épiderme singulièrement clair sous le bleu sombre du paréo bringé de blanc. Ni franchement jolie, ni négligeable, la chevelure ramassée en un chignon-brioche à l'ancienne, Justine frappa les visiteurs par l'indicible tristesse émanant de ses yeux glauques. Puis elle sourit, avança une main vers Thomas et salua : - I a ora na Quentin perçut à cet instant que son frère regrettait déjà de s'être aventuré jusqu'ici. Et qu'il tenterait d'expédier le repas comme une affaire que l'on classe sans suite. [...]
[...] J'irai voir Marius un soir prochain chez lui, histoire de voir s'il me transporte aussi facilement dans ses bras que la journaliste de l'Écho Pour prégnante que fût en l'occurrence la préoccupation de la Fidjienne quant aux destins de deux êtres qu'elle appréciait et qu'elle se prenait à affectionner, cette satisfaction lui parut dérisoire lorsqu'elle fut hélée le lendemain matin à l'entrée des ateliers par le facteur, désireux de lui remettre un télégramme. Nouméa, le 19 Santé de notre vieux parent non seulement rétablie, mais bien meilleure qu'avant. Lettre suit. Amitiés. Thomas. Elle en aurait pleuré de joie, Mataou. Gravissant avec une souplesse juvénile les vingt-cinq marches de l'escalier accédant à son bureau, elle s'y précipita, se jeta dans son fauteuil, ferma les paupières, lança ses jambes devant elle, donna de l'amplitude à son souffle. [...]
[...] Le voyage en France ne se ferait donc que plus tard. Encore faudrait-il annoncer cela à Patatoa ! En tout état de cause et tout bien réfléchi, Quentin n'envisageait pas de débuter avant une bonne semaine. Le temps nécessaire à faire avaliser la transformation des projets par sa vahine et de procéder à quelques courses et visites prévues dès le départ de Moerai De plus il devrait se renseigner discrètement sur le montant d'un salaire qui, bien que promis supérieur, n'avait engagé l'employeur par aucun chiffre. [...]
[...] Dont le tour s'effectuait à pied ou à cheval. Mais point en automobile tant le tracé devenait broussailleux à partir d'un certain point. Deux véhicules seulement circulaient sur les lieux : la jeep du gendarme et la camionnette de l'épicier-boulanger chinois. Quelque cent cinquante villageois occupaient le pasteur, faisant chaque soir résonner la maison de prières et le temple chaque dimanche. Le reste du temps, les habitants pêchaient, cultivaient leurs légumes traditionnels, tressaient des nattes, des couvre-chefs et des portefeuilles-serviettes en pandanus, que les goélettes transporteraient à Papeete. [...]
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