Le plaisir de raconter et d'écouter des histoires s'est révélé aussi tenace que la nature humaine : le succès de la fiction romanesque témoigne d'un besoin toujours accru de fuite dans l'imaginaire. Le roman n'en met pas moins en évidence une nécessité aussi forte, celle qui pousse le romancier à construire une vision du monde qui l'entoure, dans laquelle le lecteur est à même de se reconnaître. On s'aperçoit alors de la coexistence d'attitudes apparemment contradictoires. Le romancier apparaît ainsi constamment balancé entre la tentation de s'identifier au monde, aux faits, à l'histoire qui fonde notre existence, et celle, comme Josué, d'arrêter le soleil au-dessus des portes de Jéricho. De cette irréductible mobilité, de ce conflit même, on pourrait en déduire à l'incapacité du roman à se prêter à un carcan doctrinal. Au contraire, Milan Kundera tente de relever cette gageure, n'hésitant pas à opposer arbitrairement le romancier et l'historien, quand il explique que « le roman n'examine pas la réalité mais l'existence. Et l'existence n'est pas ce qui s'est passé, l'existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable. » Autrement dit, Kundera soutient que le roman privilégie d'un individu son existence, cette dernière étant entendue comme procès, aventure, déploiement au sein d'un parcours forcément tourné vers son devenir. Parce qu'il ne vit que d'inventer les possibles, et non pour rendre compte d'une quelconque réalité, le roman est selon lui, le lieu de l'idéal romanesque. Est-ce à dire que le roman peut n'être voué qu'à l'existence, au détriment de toute réalité ? A privilégier un domaine et en excluant l'autre, ne risque-t-on pas de déflorer ce qui fait le propre du genre, sa confondante liberté, son nécessaire paradoxe ?
(1)Notre étude s'attachera dans un premier moment à étudier le point de vue de l'auteur, le roman entendu comme la peinture d'un personnage pris dans sa trajectoire. (2) Cette réflexion initiale nous conduira à réaliser dans un second moment que la tentation romanesque d'évoquer la réalité est presque inévitable, quand elle ne constitue pas le but même de l'oeuvre. (3) Une fois prise en compte la dimension complexe, complète et dialectique d'une existence, lieu du futur, certes mais aussi d'un passé, de ses possibles mais aussi de ses impossibilités, restera à analyser le roman comme lieu du pis-aller entre idéal et réalité (...)
[...] Se dessine alors le terrain d'un compromis entre romanesque idéal et soif de réalité. III) Un compromis idéal et réalité ? Le roman est bien le lieu du pis aller entre l'idéal romanesque et le désir de rendre compte du monde qui nous entoure. Cette tension, cette contradiction fait que l'existence est aussi le champ des échecs et des impossibilités. Le roman est ce laboratoire qui rend compte de ce qui peut être mais aussi de ce qui ne peut exister. [...]
[...] La spécificité de ce roman est peut-être dans l'imbrication très serrée de la fiction et de l'histoire. Si les personnages et leurs destins sont inventés, le cadre dans lequel se passe l'intrigue est tout à fait conforme à la réalité. Bien plus, l'histoire n'est pas un simple cadre, elle participe aux événements, elle en devient le personnage principal. Le thème le plus dramatique de l'œuvre est le conflit entre les motivations individuelles et l'intérêt général identifié au sens de l'Histoire. [...]
[...] Bien au contraire, le passé a son importance, et le roman peut s'attacher au passé d'un héros davantage qu'à son devenir. C'est simplement envisager l' existence du héros dialectiquement, avec certes un devenir, mais aussi une origine et une fin. L'existence n'est pas qu'un avenir, c'est aussi un passé ; dont on a besoin pour éclairer rétrospectivement un parcours. Dans A Rebours de Huysmans, l'action romanesque est pour ainsi dire inexistante. En prenant pour unique héros un personnage dont la vie est déjà finie, le roman prend pour point de départ une situation qui en elle-même signifie un terme plutôt qu'un commencement. [...]
[...] Ils sont non seulement appelés à éprouver leur vertu dans des circonstances mystérieuses et périlleuses, comme lors de la découverte par Félicie d'une caverne où des femmes sont enchaînées au milieu de cadavres. Mais puisque tout devient possible, ils sont aussi conduits à voir leur identité bouleversée : Félicie se déguise en homme, devient le jeune et intrépide Ariobarsane, sa suivante l'imite, baptisée Dina puis Mérin, enfin Merlin. On assiste à une orgie de possibilités aussi amusante que déconcertante. On voit bien poindre là le risque de rejeter aussi farouchement tout réalisme. [...]
[...] le roman n'est pas que la construction d'une existence, il se nourrit aussi de la destruction de cette existence, suscitant échecs, impossibilités, réussites, à l'image peut-être de ce qui est fonde la base de tout roman : la vie. Conclusion : Somme toute, le roman, qui n'a cessé de prospérer sur la ruine des systèmes, des écoles est bien le lieu de la fantaisie, du déploiement d'un personnage dans un devenir où il se réalise, mais il implique aussi un souci particulier des limites de l'espace et du temps, qu'il définit et dont il tire partie. [...]
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