Il est communément admis qu'une histoire racontée peut être inventée mais vraisemblable, et qu'à l'inverse, une histoire vraie peut paraître invraisemblable. La vraisemblance semble donc renvoyer à une norme ou à une idée commune, plutôt qu'à une réalité. C'est ce que T. Pavel évoque dans son essai La Pensée du Roman, où il définit le roman comme "l'art de la vraisemblance". La vraisemblance apparaît ici liée à une certaine habileté, un certain savoir-faire, indiquant alors que la vraisemblance ne serait qu'une construction artistique en vue d'un idéal commun. Cette idée d' "art de la vraisemblance" apparaît dans la définition-même de "vraisemblance" du Trésor de la Langue française : "vraisemblance", n.f. [Domaine de la création littér. et artist]. Accord entre ce que l'écrivain ou l'artiste exprime dans son oeuvre et ce que le lecteur ou le spectateur considère comme pouvant être vrai, comme conforme à l'idée qu'il se fait de la réalité (...)
[...] C'est le cas du Grand Meaulnes (1913) d'Alain-Fournier, où nombreux sont les lieux qui existent en réalité : même si Epineuil-le-Fleuriel devient Sainte-Agathe dans le roman, Nançay (Sologne : Vieux-Nançay dans le roman), Vierzon, La Chapelle d'Angillon La Ferté-d'Anguillon dans la roman), Paris, Bourges et les bords du Cher sont des lieux qui sont cités. Ainsi, l'espace romanesque est complètement rattaché au réel, bien que cet espace géographique ait été rétréci par l'auteur pour réunir tous les lieux de son enfance. Alain-Fournier rend alors son récit vraisemblable. Pour ce qui est des lieux intérieurs, ceux-ci, pour être vraisemblables, doivent être en adéquation avec les personnes qui les fréquentent. [...]
[...] Pour plus de vraisemblance, le romancier se fie donc aux mœurs de la société qu'il dépeint. Ainsi, pour écrire La Princesse de Clèves, Mme de Lafayette se documente sur l'éthique et les mœurs du XVIe siècle qu'elle décrit, et principalement sur les mœurs de la cour de l'époque. Dans sa lettre au chevalier de Lescheraine, Mme de Lafayette elle-même décrit son œuvre comme une parfaite imitation du monde de la cour et de la manière dont on y vit Il y a donc bien un projet explicite de vraisemblance quant aux mœurs des personnages, bien que Mme de Lafayette ne s'affirme pas comme l'auteur de cette œuvre. [...]
[...] De plus, c'est en vue de cette vraisemblance morale que Mme de Chartres indique à sa fille la limite sui sépare l'autorisé de l'interdit, et que Mlle de Chartre applique ces conseils. Ainsi, à la fin du roman, Mme de Clèves décide de se retirer et de ne pas épouser Mr de Nemours car sa morale propre, et par là la morale de l'époque, lui interdit de se marier à l'homme qui l'a détourné de son mari, et qui a implicitement causé la mort de Mr de Clèves. La sens commun du XVIe siècle trouverait cela immoral, et par là invraisemblable. [...]
[...] Cependant, cet art est limité, en tant qu'il possède des règles et en tant qu'il n'est là qu'à des fins personnelles, celles de l'auteur. Il existe une différence entre l'art de la vraisemblance dans le roman et dans le théâtre. Alors que dans le roman, cet art se refuserait à faire agir un personnage immoralement, dans le théâtre, cet art permettrait un acte immoral, mais la vraisemblance serait de ne pas le montrer sur scène. [...]
[...] * Cependant, il existe une deuxième vraisemblance, comme expliqué dès l'introduction. Celle-ci va de paire avec la première, et est liée à l'environnement des personnages décrits : c'est une vraisemblance descriptive. Une telle vraisemblance n'est possible que par l'utilisation de l'histoire. Pour cela, une documentation précise et attestée est requise. Dans La Princesse de Clèves, la vraisemblance est créée par de nombreux repères chronologiques qui forment une trame historique décelable. Celle-ci est mise en place dès l'incipit, qui inscrit le récit dans les dernières années du règne de Henri second à savoir vers 1758. [...]
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