Une révolution est un changement soudain, brutal et profond dans l'ordre social, moral, intellectuel ou esthétique. Guillaume Apollinaire (1880-1918) s'est vu comme un révolutionnaire ; les surréalistes l'ont aussi considéré comme tel. Et si Apollinaire admirait tant Picasso, c'est parce que celui-ci avait accompli « la grande révolution des arts ».
Alcools, le principal recueil d'Apollinaire, est une œuvre qui constitue et effectue en elle-même une révolution poétique au plein sens du terme. Non seulement Apollinaire y rompt violemment avec la tradition de la poésie classique, brisant sa forme strictement codifiée (versification, ponctuation) et s'affranchissant de son vocabulaire et de ses thèmes attendus, mais il y subvertit et bouleverse l'ordre général du monde pour instaurer de nouvelles lois, de nouveaux principes.
Nous verrons dans un premier temps comment Apollinaire dénonce et défait des valeurs établies fondamentales. Puis, nous étudierons l'imaginaire de la révolution qui irrigue tout le recueil d'Alcools. Enfin, nous verrons comment Apollinaire établit, par la puissance de son verbe poétique, les bases d'un monde radicalement neuf, mais fragile et peut-être illusoire.
[...] La Poésie Partout - Apollinaire, homme-époque (1898-1918) Éditions du Seuil Les fiançailles, p.114 La chanson du mal aimé, p.30 Les fiançailles, p.115 Comme Marie dans Marie Quand donc reviendrez vous Marie ; Annie dans Annie, qui seule dans son grand jardin semble bien inaccessible, ou la dame de 1909 Elle était si belle/Que tu n'aurais pas osé l'aimé Entre les couples de La maison des morts, ce qui rend l'amour impossible c'est la mort de l'un des conjoints. Ainsi les nixes nicettes aux cheveux verts et naines d'Automne malade n'ont jamais aimé L'Arlequine de Crépuscule ne se soucie pas de l'Arlequin, et préfère mirer son corps dans l'étang. La figure mythologique de la sirène hante le recueil. Salomé, la femme- enfant fatale, est un autre exemple de dangereuse séductrice (Salomé). [...]
[...] La liste de toutes les lois naturelles et physiques qui sont abrogées par la révolution poétique apollinarienne est loin d'être close. Prenons seulement note d'une de plus : le bon sens nous apprend que le faux n'a pas de racine, et que l'illusion ne peut donner aucun fruit. En effet le mensonge ne se transforme jamais en vérité, pas plus que le héros d'un film ne peut sortir de l'écran. Cependant Apollinaire met en cause cette loi, en évoquant la figure mythique d'Ixion : Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées/Comme fit autrefois l'Ixion mécanique ; Ixion le créateur oblique caresse des nuées faméliques (Vendémiaire, p.137- 139). [...]
[...] Apollinaire a choisi de raconter le spectacle comme s'il était authentique, de même qu'il a choisi de croire à ses propres sortilèges : illusionniste sincère, il croit, ou veut croire, à la réalité de ses tours de magie poétique mais il ne le peut qu'au prix d'une universelle ivrognerie Dans Alcools, dont le titre ne doit rien au hasard, c'est l'alcool qui rend l'impossible possible le temps d'une ivresse Conclusion Alcools innove autant par le fond que par la forme : ce recueil poétique rompt avec la prosodie classique et recycle en mythes et en images des thèmes et des principes révolutionnaires. Mieux encore : de l'aspiration à une impossible révolution métaphysique qui renverserait l'ordre naturel, bouleverserait les lois les mieux établies de l'univers, Apollinaire a fait une authentique révolution poétique. bibliographie Alcools de Guillaume Apollinaire. Foliothèque Gallimard Alexandre, Didier. Guillaume Apollinaire: Alcools. [...]
[...] Dans La chanson du mal aimé (poème qui se par sa longueur comme par sa beauté et sa douloureuse sincérité occupe une place à part dans le recueil), l'amour est placé sous le signe de la confusion et du malentendu. C'est un soir de demi-brume que le poète voit un voyou qui ressemblait à son amour, puis une femme lui ressemblant La femme aimée se difracte en de multiples images, toutes décevantes. Et le poète en arrive à cette prise de conscience : je reconnus/La fausseté de l'amour même (p.18) La suite du poème évoque encore deux fois le faux amour (p.18 et 19). [...]
[...] Toute révolution (qu'elle soit politique, sociale ou esthétique) repose sur un répertoire de thèmes qui lui servent de fondement idéologique en lui accordant une légitimité, une apparente nécessité. Le premier de ces thèmes est l'affirmation bien connue selon laquelle le monde tel qu'il est serait devenu vieux, poussiéreux, et étouffant. Zone s'ouvre sur le constat d'une lassitude : A la fin tu es là de ce monde ancien [ ] Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque ou romaine/Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes (Zone, p.7) Apollinaire insiste à plusieurs reprises sur ce thème : C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la beauté (Zone, p.10) Le temps où vit Apollinaire est à ses yeux une époque charnière, celle d'un monde en voie d'extinction : Je vivais à l'époque où finissaient les rois/Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes (Vendémiaire, p.136) C'est ce constat d'un monde usé, déclinant, qui justifie toutes les révolutions à venir ; c'est cette lassitude et cette décrépitude, déclinées sous différentes formes, qui vont expliquer et justifier la pulsion révolutionnaire Détruire pour renouveler Cette soif ardente de renouveau passe d'abord par une phase de destruction. [...]
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