Au XVIIème siècle, le travail de représentation des passions se pratique à travers la question du politique et de l'exercice du pouvoir. Des œuvres aussi diverses que Les Maximes, Bajazet et Les Amours de Psyché témoignent d'une relation complexe entre les passions amoureuses et celles liées à l'intérêt d'État. Alors qu'il distingue les sujets propres à la tragédie et à la comédie, Corneille affirme dans le premier des Trois discours sur le poème dramatique : « La dignité de la Tragédie demande quelque grand intérêt d'État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition, ou la vengeance ; et veut donner à craindre des malheurs plus grands, que la perte d'une Maîtresse. Il est à propos d'y mêler l'amour, parce qu'il a toujours beaucoup d'agrément, et peut servir de fondement à ces intérêts, à ces autres passions dont je parle ; mais il faut qu'il se contente du second rang dans le Poème, et leur laisse le premier ».
Dans cette hiérarchisation des passions, Corneille évoque ainsi la nécessité d'un péril qui dépasse les intérêts personnels pour s'étendre au champ du politique et de l'État. Il porte l'accent non pas tant sur la condition des personnages que sur leurs actions : il faut que le devoir et l'honneur l'emportent sur l'intrigue amoureuse qui, réduite au simple ornement, « se contente du second rang dans le Poème ». Corneille fonde donc sa définition de la noblesse du genre sur la considération des intérêts qui animent les personnages et de l'émotion du spectateur. Le propos est ouvertement polémique car il se démarque fermement d'une esthétique galante dominante dans les années 1660. Néanmoins, certains termes ouvrent une brèche dans l'argumentation. L'amour sert de « fondement » à « l'ambition » et à la « vengeance » : c'est donc à partir de cette passion, base de l'édifice-tragédie, que se définissent les autres. De plus, il est sujet des verbes « se contenter » et « laisser » qui, bien qu'indiquant une restriction, n'en désignent pas moins l'amour comme actif. Cette passion se plie-t-elle effectivement à la nécessité d'une soumission?
[...] Représenter les passions au 17e siècle Au XVIIe siècle, le travail de représentation des passions se pratique à travers la question du politique et de l'exercice du pouvoir. Des œuvres aussi diverses que Les Maximes, Bajazet et Les Amours de Psyché témoignent d'une relation complexe entre les passions amoureuses et celles liées à l'intérêt d'État. Alors qu'il distingue les sujets propres à la tragédie et à la comédie, Corneille affirme dans le premier des Trois discours sur le poème dramatique : La dignité de la Tragédie demande quelque grand intérêt d'État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition, ou la vengeance ; et veut donner à craindre des malheurs plus grands, que la perte d'une Maîtresse. [...]
[...] Les Maximes sont empreintes d'une certaine éthique de la noblesse : l'idéalisation du héros courageux et ambitieux est évidente dans la maxime 217 mais encore faut-il que cet héroïsme soit épuré de ses faux semblants. La démolition du héros s'en tient à dénoncer ce que les hommes considèrent souvent comme héroïsme véritable. La Rochefoucauld ne prétend pas à des exigences systématiques, prônant une humanité unifiée par une égale propension à la faiblesse et au mal. C'est en ce sens qu'à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes (maxime 24). Dans Bajazet, il arrive que les personnages soient moralement au-dessus de la nature commune, mais l'écart n'est jamais immodeste. [...]
[...] Des rumeurs circulent sur les dispositions de l'armée et l'issue de la bataille, habilement distillées par le politique. Acomat sait que le sultan a juré sa ruine 85). C'est pourquoi il a suscité et entretenu l'amour de Roxane pour Bajazet, qui doit être couronné à la place de son frère. Quant à lui, il épousera Atalide et se ménagera ainsi un appui contre Bajazet qui, une fois couronné, Méconnaîtra peut-être un inutile ami 192). D'ailleurs, le vizir sait que les janissaires haïssent Amurat auquel ils ne sont liés que par la crainte 44) ; il s'est acquis l'appui des ulémas, qui peuvent entraîner le peuple crédule en sa dévotion 235), et il a fait croire aux habitants de Byzance qu'Amurat voulait loin de cette ville Transporter désormais son trône et sa présence 246). [...]
[...] Il serait légitime de nous interroger sur le rôle de l'amour et du pouvoir dans les trois œuvres : la représentation de la passion amoureuse est-elle subordonnée à celle des passions estimées plus nobles En effet, l'amour ne devient-il pas un moyen au profit de l'ambition qui s'attache au pouvoir? Mais la grande importance donnée aux aventures du cœur semble contredire cette théorie : l'amour est-il constamment opposé à quelque autre passion selon le duel moral cornélien? Or, ne peut-on pas dépasser toute hiérarchie dans la représentation des passions? [...]
[...] Face à cette proéminence de l'ambition et de la vengeance comme passions nobles l'amour semble lié aux intérêts privés. Les moralistes y décèlent une forme d'égoïsme : Il n'y a point de passion où l'amour de soi-même règne si puissamment que dans l'amour (maxime 262) ou Le plaisir de l'amour est d'aimer ; et l'on est plus heureux par la passion que l'on a que par celle que l'on donne (maxime 259). Il est en effet le fils de l'amour-propre, la tendresse refusée devenant aussitôt violence. [...]
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