Encore aujourd'hui, la parodie reste pour certains une notion ambiguë, confuse, et souvent à connotation négative. La définition par analogie du Trésor de la langue française en rend compte :
« Imitation grossière qui ne restitue que certaines apparences. Synon., caricature. »
Elle est ici présentée comme une pratique maladroite et réductrice. Parfois elle passe pour être un produit, stérile, d'esprits incapables de créer par eux-mêmes. Seule lui est reconnue une piètre valeur ludique, bien loin d'être associée à un quelconque genre littéraire. Jean-Claude Carrière, dans son anthologie consacrée aux formes de l'humour au vingtième siècle, l'estime tel « un amusement de potaches, un divertissement d'atelier. » Nullement pris au sérieux, sans intérêt littéraire, ce n'est qu'un « genre impuissant, valable seulement pour le cabaret » pour Jean-Paul Sartre.
Ces jugements dépréciatifs sont peut-être liés au mépris que connut le Rire médiéval – considéré comme parole du Diable, au rejet que rencontrèrent les Comédies – perçues en tant que « dégradations » de la noble Tragédie, ou encore à la notion de propriété littéraire introduite en droit dès le dix-huitième siècle. Les parodies du théâtre de Victor Hugo, aux titres-calembours tel que Ruy-Brac, Maris, tu dors, Lucrèce D'orgeat, semblent procéder d'une attitude conservatrice, face à l'avant-gardisme et au romantisme naissant, comme le souligne Linda Hutcheon.
Elles ont pour but de critiquer le modèle et l'auteur, comme nombre d'ouvrages parodiques mineurs qui ont pour visée de nuire par le burlesque ou l'ironie ; Racine et Boileau parodièrent ainsi Le Cid dans Le Chapelain décoiffé.
Mais « ces quelques formes tardives du pastiche littéraire » sont aux yeux de Mikhaïl Bakhtine « indigentes, superficielles, sans grande importance historique ». N'élucidant pas la nature de la parodie, ces œuvres, souvent oubliées, restent secondaires, bien qu'elles marquent toujours une opposition littéraire.
Même si on n'apprécie guère cette pratique oisive et agressive, on ne peut nier la nécessité d'un certain talent technique (quand un même sujet est transposé sous une autre forme) ou imaginatif (quand on reprend une même structure pour un sujet différent) pour chaque parodiste. En effet, plus les signes de reconnaissance sont discrets et fins, plus la parodie est réussie.
C'est pourquoi il est important de rappeler la difficulté principale d'un tel « exercice de style », qui semble souvent opaque lors d'une première lecture. Dès 1919, le formaliste russe Iouri Tynianov met à jour la question de la réception de l'œuvre parodique :
« L'efficacité parodique engage la situation du texte comme lieu d'une connivence entre des sujets participant de la même culture. »
Tzvetan Todorov nous apprend que l'hypotexte –ou texte de référence– est indissociable du texte parodique car, dit-il, « on ne peut comprendre le texte sans tenir compte de sa signification double. »
[...] On peut tout à fait comprendre l'indignation, voire le mépris, que ressentiraient les admirateurs de Corneille à la lecture de passages comme celui-ci : O rage ! Ô désespoir ! Ô Vénus ennemie ! Etais-je réservée à cette ignominie ? N'ai-je donc encensé ton temple et tes autels Que pour être l'objet du faible des mortels ? Tu peux voir aujourd'hui rater ces quatre infâmes Et n'entreprendre pas la vengeance des femmes ? N'est-ce donc pas pour toi le plus sanglant affront, Qu'on m'ait enfin réduite à ma branler le con ? [...]
[...] Intégrée d'abord dans un contexte social et une vision bakhtinienne du monde, la parodie l'est enfin dans un ensemble d'opérations textuelles précises. A travers la parodie notamment, Genette explore dans cet esprit tout ce qui met [un texte] en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes ; il paraît ainsi répondre à l'appel du critique soviétique qui déplorait que tout cela [reste] inexploré. Bien que Genette privilégie le ‘jeu' comme dénominateur commun à cet ensemble de pratiques, contrairement à la préférence du ‘comique' chez Bakhtine, il est important d'établir un lien entre ces deux critiques. [...]
[...] Claude Abastado, dans Situation de la parodie de 1976, fait la remarque suivante : Cette destruction - reconstruction est d'essence parodique. Par la stylisation, les procédés anciens sont à la fois assimilés, récusés comme tels et investis d'une ‘fonction constructive' dans un nouveau système littéraire. Rappelons que le caractère paradoxal de la parodie, mis ici en évidence, est contenu dans son étymologie même. En effet, le terme grec ‘parôdia' (παрωδία) signifie ‘contre-chant' ; le préfixe ‘para' a un double sens : contre et à côté. [...]
[...] Cette conception, apparue au cours des années soixante, conçoit la parodie, à juste titre, comme un jeu d'échanges littéraires, voire culturels. Aussi la pensée de Mikhaïl Bakhtine semble-t-elle beaucoup plus objective que celle de ses prédécesseurs, car elle sort d'une interprétation psychologique qui opposait l'hommage et l'attaque : Nous nous rendons compte que [dans l'Antiquité] il n'y avait, littéralement, pas un seul genre direct strict, pas un type de discours direct, littéraire, rhétorique, philosophique, religieux, usuel, qui n'eût son ‘double', son travestissement parodique. [...]
[...] Elle montre surtout que la confusion d'un jugement moral avec le travail auctorial porte préjudice à la figure parodique. Linda Hutcheon, une spécialiste anglo-saxonne, explique la différence fondamentale entre satire et parodie : Les inepties ainsi visées [par la satire] sont généralement considérées comme EXTRATEXTUELLES dans le sens où elles sont presque toujours morales ou sociales et non pas littéraires. Dans Le Tartuffe de Molière, le premier niveau de lecture est la satire des membres du Clergé dans certains abus ; la parodie du discours religieux n'est qu'accessoire. [...]
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