Dire, comme le fait J. Emelina dans Le comique, essai d'interprétation général, que « le comique c'est l'envers du sérieux sous toutes ses formes », c'est procéder à un effort de définition dont l'originalité est double, dans la mesure où il rend d'abord caduc cette doxa dualiste bien établie, qui restreint le débat à une opposition primitive entre tragique et comique (« on commettrait une grave erreur en pensant que le comique n'est que l'envers du tragique »), or on sait que tragédie et comédie sont des termes de genres littéraires, tandis que tragique et comique s'apparentent plus à des registres, des tons.
Dans un second temps, il constitue également une anti-définition, en ce sens qu'il s'affirme en creux (« l'envers de »), et qu'il permet dès lors de saisir l'ensemble de la notion de comique, pourtant foisonnante (« son extraordinaire et sa perpétuelle profusion »), en la rendant solidaire et indissociable d'une posture plus facilement cernable, le « sérieux ». Dans un développement consécutif en effet, l'auteur définit cette dernière notion moins comme un état d'esprit occasionnel mais bien comme un état d'être au monde, « d'adhésion » immédiate et totale aux choses, une affectation première (opposée au comique qui est « un genre second, une attitude seconde »), une appréhension de toute chose au premier degré. C'est que le comique procèderait donc, dans cette perspective, d'une distanciation de l'expérience première en se fondant sur un processus réfléchissant, rétrospectif, poussant ainsi à la remise en question de soi et renversant le sérieux, en devenant ainsi sa face cachée. Dès lors, il s'agit de s'interroger en quoi le comique constitue bien une attitude qui « vient nécessairement après », tant dans la considération qu'on lui accorde que dans le processus qu'elle développe, en cherchant à déterminer les relations qui le lient au sérieux.
[...] Mais écrire du théâtre, n'est-ce pas là encore conscience du sérieux ? Le comique naît du tragique, en ce sens que, comme l'expose Nietzsche dans Ecce homo l'homme souffre si profondément qu'il a dû inventer le rire Le rire permet d'échapper à l'angoisse, d'occulter le tragique, et, dans le contexte historique du XXe siècle, tout est bon pour tourner au ridicule ce qui pourrait être trop sérieux. Cependant, le comique est davantage qu'un moyen pour voiler l'horreur d'un constat désespérant, et, une fois la distance créée, la réflexion critique s'opère. [...]
[...] Le rire met à distance le personnage comique écrit M. Meyer dans le comique et le tragique, et celui-ci, enfermé dans la littéralité de son texte, rompt avec le spectateur. Ainsi, le travail d'Ibsen, notamment dans le canard sauvage est de mettre en scène des personnages dont la légitimité est assise sur des étiquettes qui garantissent leur qualité à priori (entendons là le sens étymologique, de prior, ce qui vient avant, en premier donc), comme le maître, le pasteur, le notable, afin de les démystifier, dépasser le sérieux constitué pour s'approcher de la vérité. [...]
[...] Pour ce faire, nous restreindrons volontairement notre étude à la comédie de théâtre, en tant qu'elle s'affirme comme mode d'expression privilégiée du comique, tout en ayant conscience pour autant que ce dernier se rencontre partout, dans le roman et dans le récit, dans la poésie et dans la chanson, dans les arts plastiques, la photographie, le cinéma, etc et le comique immense de la vie et du monde nous dit J. Emelina. Nous chercherons donc dans un premier temps à saisir ce qui fait du comique le contrepoint non seulement du tragique, mais aussi du sérieux, en analysant le mécanisme comique. Il s'agira ensuite de voir comment le comique, dont la forme diverge fortement, en inversant le sérieux, ne l'exclut pourtant pas nécessairement de son entreprise. Enfin, nous tâcherons de comprendre la force du comique qui réside en une distanciation automatique dont l'aboutissement conduit à sa propre autodérision. [...]
[...] En ce sens, elle est moins l'envers du sérieux sous toutes ses formes que l'envers du sérieux qui n'inclut pas de comique, car, selon l'heureuse formule de Brecht, un théâtre où l'on ne rit pas est un théâtre dont l'on doit rire Le comique s'affirme donc comme une nébuleuse foisonnante, dont les essais de contours esquissés ne peuvent saisir la richesse et la force créatrice. Aujourd'hui encore le registre comique peine à s'affirmer autrement que comme un simple envers une notion définit par rapport aux autres et ne possédant pas une logique interne suffisamment forte pour trouver une cohérence. Mais le rire ne se trouve-t-il finalement pas partout, lorsqu'on regarde la réalité en fa(r)ce ? [...]
[...] Emelina, paradoxe qu'il faut analyser pour saisir le plein enjeu du comique. Bergson, dans le rire, essai sur la signification du comique, dit du comique qu'il est une mécanique plaquée sur du vivant Or, si la comédie est considérée comme un art second c'est à la fois dans un sens générique (on lui reproche par exemple d'être vite datée, car ce qui fait rire à un moment donné, à force d'exploitation, s'use et démode, tandis que la tragédie semble éternelle, comme figée dans son marbre antique), mais aussi dans le processus qu'elle propose. [...]
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