Diriez-vous, avec Jean Rousset dans Forme et signification, qu'une œuvre d'art est « l'épanouissement simultané d'une structure et d'une pensée, l'amalgame d'une forme et d'une expérience dont la genèse et la croissance sont solidaires » ? Sans exclure les autres domaines artistiques, vous privilégierez les exemples littéraires français
[...] Cette division est encore plus manifeste dans ce que certains appellent une littérature d'idée. On le comprend bien : une littérature d'idée est cette littérature qui sépare la création artistique en deux temps, deux temps dont le premier et manifestement le plus essentiel est la conception mentale d'une idée, le second étant l'expression de cette idée dans l'œuvre. De tels auteurs sont dits auteurs à thèse La formule est explicite : ces écrivains élaborent d'avance ce qu'ils vont exprimer dans leur œuvre ; autrement dit, ils se servent de l'œuvre pour exprimer, dit-on souvent, un message. [...]
[...] Son Iphigénie par exemple : l'évolution en différentes étapes de la tragédie qui se joue constitue en effet le cœur de la pièce, et l'on voit que toute la force de Racine réside dans la dissémination d'éléments (le personnage d'Eriphile et les mystères qui l'entourent) qui concourent à rendre nécessaire le dénouement de la pièce (Eriphile est une autre Iphigénie, et c'est elle qui est sacrifiée). On voit bien que l'élaboration de cette trame narrative est la véritable création du dramaturge, l'œuvre proprement dite ne venant qu'ensuite, dans l'après-coup de ce que Racine appelle son plan En un mot : la création précède l'œuvre. A se pencher sur la littérature classique, on en distingue un autre caractère problématique. [...]
[...] L'auteur doit avoir l'impression de constater de l'extérieur la genèse de son oeuvre ; il ne doit d'abord qu'en constater l'existence. L'auteur a le sentiment d'avoir simplement ouvert les portes, permettant à ces créatures de sortir de lui-même, de naître, de se développer, de vivre Dans Six personnages en quête d'auteur, Pirandello fait l'expérience "en direct" de ce travail de l'imagination. Lorsque ses personnages veulent reconstituer la scène qui s'est déroulée chez Mme Pace, ils se heurtent à l'absence de ce personnage parmi eux. [...]
[...] Ou les choses. Les mots et les choses : Ponge cherche en effet à créer un monde équivalent au réel, et ce à travers le poème, poème qu'il voit comme un en-soi verbal. Ponge cherche à créer dans le langage une sorte d'objet verbal qui aie la même densité que la chose dans le monde physique. On ne fait pas des vers avec des idées mais avec des mots disait déjà Mallarmé. Ces mots, Ponge les investit d'un véritable pouvoir créateur : jouant avec les étymologies ou les morphologies, il parvient en effet à donner une valeur propre au mot. [...]
[...] Et si l'œuvre d'art traduit une telle puissance de création, qu'en est-il alors du rapport de l'art au réel ? Analyse C'est là une conception fréquemment évoquée : l'œuvre d'art est l'expression par l'artiste de certains contenus de pensée. Autrement dit, à reprendre la terminologie de Rousset : dans la création artistique, la pensée précède la structure C'est donc dire que l'artiste qui entreprend une création conçoit dans un premier temps ce qu'il va créer, puis se met effectivement à l'œuvre. [...]
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