Cette question se pose de manière aiguë dans les deux romans que sont A Rebours et Le Portrait de Dorian Gray. Ces derniers nous montrent l'évolution de deux personnages en prise avec leur désir d'esthétisme et leur confrontation parfois brutale avec le réel. Dès lors, dans quelle mesure peut-on dire que ce propos de Liliane Louvel est mis en échec dans les deux romans ?
Ces deux œuvres sont d'abord le théâtre de cette tentative de l'art pour l'art, même si elles ne l'expriment pas de la même manière ; mais cette tentative échoue ensuite par l'incompatibilité entre la quête esthétique et la vie réelle. Enfin, l'important pour l'artiste ne serait-il pas plutôt de produire un monde ?...
[...] Un art qui se réfugie dans l'artificialité par refus du réel, refus de tout embrigadement et asservissement à une idée. C'est ce qu'exprime Théophile Gautier dans la préface de Mlle de Maupin (1836) lorsqu'il écrit que l'art doit être désintéressé, se détourner des circonstances extérieures, et que l'artiste doit être libéré de tout ce qui est fonction sociale. Il écrira, dans L'Artiste, que le but de l'art est de faire naître l'idée du beau. Au chapitre IV du Portrait de Dorian Gray, Lord Henry exprime sa vision de l'artiste : Il vit le poème qu'il ne peut écrire, les autres écrivent le poème qu'ils n'osent réaliser Cette citation marque la dichotomie entre l'art et le réel ; c'est-à-dire que l'artiste serait celui qui ne vit pas ce qu'il produit. [...]
[...] Ce livre permet aussi au lecteur de découvrir la société anglaise de la fin du XIXème siècle, le système des salons, des réceptions, le Londres chic et le Londres des bas-fonds : Dorian Gray était introduit dans le salon de lady Narborough par des domestiques inclinés. [ . C'était une réunion intime bientôt transformée en confusion par lady Narborough, femme très intelligente. (Chapitre XV) ; et : Les public-houses se fermaient et des groupes ténébreux d'hommes et de femmes se séparaient aux alentours. D'ignobles éclats de rire fusaient des bars ; en d'autres des ivrognes braillaient et criaient (Chapitre XVI). Ces aspects sont d'ailleurs plus longuement développés par Oscar Wilde lors de sa réécriture du roman. Ces thèmes sociaux ou historiques constituent le réel. [...]
[...] L'imagination est ce qui se trouve au centre de ces deux œuvres. Elles appartiennent, particulièrement celle d'Oscar Wilde, en majeure partie au courant de la décadence, période où l'imagination et la mise en branle l'emportent sur la connaissance exacte et la raison. Il ne s'agit pas de tout réinventer, mais de dire les choses autrement : réécrire, reformuler, déplacer, trouver de nouvelles combinaisons. Dans la pensée 575, Pascal explique par rapport à la composition des Pensées : Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle. [...]
[...] C'était une édition Charpentier sur Japon des Emaux et Camées de Gautier, ornée d'une eau forte de Jacquemart Le thème de la réflexivité de l'art apparaît ; c'est-à-dire que cette œuvre d'art qu'est le roman a pour sujet l'art, art qui se réfère à l'art qui le précède, tout en créant de l'art. Cela s'exprime bien dans A Rebours, notamment dans les passages où des Esseintes range sa bibliothèque tout en faisant un récapitulatif des œuvres qui l'ont précédé. Ces souvenirs se déposent et constituent le récit. L'empreint littéraire est érigé en principe du récit, il le constitue. [...]
[...] Il entretient également des relations avec son portrait. Il éprouve tout d'abord un dégoût quand il découvre que le mal qu'il fait transparaît sur la tableau mais il y prend du goût et du plaisir par la suite : L'acuité du contraste augmentait son plaisir. Il devint de plus en plus enamouré de sa propre beauté, de plus en plus intéressé à la déliquescence de son âme (chapitre XI). Cette quête est ce qui sous-tend toute l'œuvre : c'est par elle que se crée un langage nouveau. [...]
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