La notion d'écrivain malheureux n'est apparue qu'au XIXème siècle, alors même que celui-ci trouvait une place importante sur la place publique. De l'écrivain à la situation matérielle difficile, dont la situation même le pousse à créer pour acquérir le soutien de mécènes, on passe à l'écrivain dont le malheur l'empêche de continuer sa quête littéraire, qu'il sait inachevable. Du contingent, le malheur devient existentiel. Ces notions nous poussent à nous interroger sur le statut de la littérature et de l'écriture puisqu'elles présupposent que l'état d'esprit de l'écrivain est important dans l'écriture (ce qui place tout d'abord l'écriture du côté de la création plus que de la production), or on peut se demander si c'est parce que celui-ci lui permet de créer, s'il est un critère de littérature (la vraie littérature ne pourrait s'écrire que malheureux, d'où un surenchérissement dans le malheur de certains « artistes ») et s'il conditionne la possibilité d'écrire (ce qui supposerait de dissocier vie et écriture, le malheur poussant à écrire, succédané de la vie, le bonheur poussant à vivre pour actualiser ce bonheur). Enfin, c'est la place même de la subjectivité de l'auteur dans l'œuvre qui est en question : le moi apparaît-il ? De quelle façon ? Dans la création « je » devient-il « un autre » ? Pour répondre à ces questions nous nous intéresserons dans une première partie aux bonheurs et malheurs de l'écrivain puis nous nous pencherons sur l'écrivain mythifié pour enfin définir la place de la subjectivité dans l'écriture
[...] Car le risible est un défaut et une laideur sans douleur ni dommage ; ainsi, par exemple, le masque comique est laid et difforme sans expression de douleur Mais la joie n'est pas que le risible et on peut à une telle hiérarchie que l'essence et le Beau peuvent être atteints dans une réconciliation du poète avec le monde, ce qu'illustre par exemple la poésie d'un Saint-John Perse. Cette représentation du Beau comme devant être sérieux nous pousse toutefois à envisager la figure de l'écrivain comme relevant d'un mythe, une icône construite de l'écrivain qui pour l'être réellement devrait entrer dans des types. Le mythe de l'écrivain est un mythe daté. [...]
[...] De plus même si l'écrivain est un mondain il est seul, seul dans son univers, seul dans sa création, et l'intersubjectivité est rare. L'écrivain est alors celui qui baisse le ton qui ne cesse d'en rabattre, à l'instar de la plupart des modernes Il faut en rabattre écrit Mallarmé dans Etalages texte de la section de Divagations intitulée Quant au livre et qui pourtant maintient, ne fût-ce qu'en sourdine, une fonction du poète, un devoir de poésie Le chant n'efface pas la rugosité de l'existence et de notre rapport au réel. [...]
[...] La mère du narrateur le lui apporte un matin dans sa chambre, avec le courrier, avant de se retirer discrètement, sur la pointe des pieds, et de le laisser seul pour découvrir son quotidien : Sans doute y avait-il quelque article d'un écrivain que j'aimais et qui écrivant rarement serait pour moi une surprise. Mais sa mère l'a laissé seul pour qu'il se découvre lui-même pour la première fois publié, comme dans un plaisir solitaire, cette première vérole que Baudelaire évoquait : J'ouvris Le Figaro. [...]
[...] Sartre juge que ce fantasme aliénant a déterminé longtemps son existence, et que même il n'en est jamais sorti : J'ai désinvesti mais je n'ai pas défroqué : j'écris toujours. Que faire d'autre ? Le rapport de l'écrivain à la publication est ainsi placé sous le signe de la frustration et amène donc au malheur de l'écrivain puisque l'œuvre, quant elle est publiée, devient un objet du monde, objet parmi d'autre, dont l'écho se perd parmi les autres voix. La scène de l'article du Figaro dans Albertine disparue illustre bien le rapport malheureux qui ne peut qu'exister entre l'écrivain et la publication. [...]
[...] Elle est moins inspirée que questionneuse. Michaux veut ainsi approcher le problème d'être tandis que chez Baudelaire la poésie est un espace de chercherie. Le sens est mis en difficulté, en cause, en suspens La poésie entrouvre par là la langue sur notre ignorance. La plénitude ne s'atteint donc pas par la littérature, cependant l'allégresse reste en tant que la quête littéraire est celle de l'existence, de la vie. On peut donc définir, à la manière de Jacottet, le poème comme le lieu du souffle, de la respiration : Le souffle pousse, monte, s'épanouit, disparaît ; il nous anime et nous échappe ; nous essayons de le saisir sans l'étouffer. [...]
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