« J'aurais voulu écrire une fiction qui n'en soit pas une ». Ce paradoxe, exprimé par Jean-Paul Sartre (Situations X, 1976) au vingtième siècle où le roman s'est imposé dans la littérature comme le genre le plus lu, met en évidence le rapport problématique du roman, par définition œuvre fictive, au réel.
Ainsi dans L'art du roman publié en 1986, Milan Kundera affirme que « le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les briques, construire une autre maison : celle de son roman ». L'auteur d'un roman s'inspirerait donc inévitablement de son propre vécu et de sa propre expérience pour produire une œuvre pourtant présentée comme imaginaire...
Nous pouvons alors nous poser un certain nombre de questions : un roman est-il, conformément à sa définition, véritablement une fiction purement imaginaire ou bien y a-t-il une part de réalisme et de vérité qui transparaît dans une histoire relatant la vie et l'évolution de ses personnages ? Quelle est la position de l'auteur par rapport à son récit lorsqu'il écrit un roman, et comment analyser sa volonté ou non de reconstruire un autre monde à partir de sa propre vie ?
[...] Il est également possible de considérer cette expérience d'extériorisation par ses personnages comme une évolution de l'esprit du romancier. En effet, la nouvelle vision qu'il envisage du réel peut finir par l'amener à modifier ses opinions sur le monde. C'est notamment le cas pour Eugène Sue qui rédige Les mystères de Paris dans les années 1840 : au fur et à mesure qu'il se renseigne et qu'il écrit sur la vie et la misère du peuple parisien, son opinion change et il finit par mieux comprendre les difficultés des gens. [...]
[...] Dans L'art du roman, Milan Kundera proposait donc une nouvelle définition du roman : la maison reconstruite par le romancier n'est pas vraiment le récit de sa vie dans son exactitude, ni une histoire purement imaginaire, mais la fiction qu'il propose comporte des éléments importants venant de son vécu qui transparaissent toujours. Nous avons vu qu'un roman peut être à dominante imaginaire, ou au contraire se vouloir représentatif de la vérité. Cependant, nous pouvons nous interroger sur les raisons que peut avoir le romancier de choisir de démolir la maison de sa vie pour après en construire une autre par son œuvre. Car après tout, un écrivain est libre de façonner son œuvre comme il l'entend . [...]
[...] Il défait donc sa propre vie et parmi les briques obtenues, il ne sélectionne que les éléments de ses observations quotidiennes pour faire partager aux lecteurs son expérience. Les œuvres romanesques ainsi obtenues sont donc porteuses d'une autre vérité que la propre histoire de l'auteur, mais vérité quand même, issue de ses fastidieuses recherches personnelles. Mais la métaphore de l'auteur qui reconstruit une maison à partir d'éléments de sa propre vie peut également s'appliquer dans de nombreux autres cas de romans. [...]
[...] en somme, pour le romancier, tout ce qui pourrait faire à son tour travailler l'imagination du lecteur constituerait autant d'éléments à exploiter dans un récit pour être sur d'être lu et apprécié du public. Ainsi, nous pouvons dire que ceux qui lisent des romans les lisent justement pour leur fameux côté inventif et imaginaire, motivés par leur désir naturel de magique, d'évasion spirituelle recherchée dans la lecture. Ce besoin de s'évader, d'échapper quelques instants à la réalité en lisant un roman peut également amener l'auteur à penser que sa propre vie n'a absolument pas d'intérêt aux yeux des autres, d'où alors cette volonté du romancier de démolir sa vie pour recréer autre chose. [...]
[...] Avec Théophile Gautier, le fantastique sera assumé comme tel, et ce sera au lecteur d'affronter un monde irréel (par exemple dans ses nouvelles comme la Morte amoureuse). Ainsi, le courant romantique a aussi contribué au triomphe du genre romanesque mettant en évidence la volonté des romanciers de créer au travers de leurs ouvrages des univers radicalement différents de la réalité dans laquelle ils vivent, voire même inexistants. Nous voyons donc que les romanciers peuvent mettre de côté la maison de leur vie pour mieux reconstruire un monde imaginaire. [...]
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