« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur », écrit Rousseau au sujet de ses Confessions. Cet art qu'est l'autobiographie sera pourtant repris et développé par de nombreux auteurs. Or, il convient avant toute chose de s'interroger sur le terme d'autobiographie, ce genre littéraire souvent pris dans un sens très large et auquel on assimile les confessions, les mémoires, les journaux intimes, certains essais, etc. L'étymologie peut éclairer cette définition : le terme vient du grec auto–bio–graphein, qui signifie écrire sa vie. Par conséquent cet écrivain qui est « lui-même la matière de son livre » ainsi que l'écrit Montaigne, écrit le récit de sa propre vie, récit qui s'apparente à la fois à une prise sur le vif en même temps qu'à une histoire synthétique, et qui implique un retour aux origines, c'est-à-dire au récit d'enfance puisqu'il s'agit d'une perspective intimiste en même temps que rétrospective. Quelles sont, chez Chateaubriand et Stendhal, les raisons de l'autobiographie ?
[...] Effet de mode ou besoin profond et intime, il convient alors de s'interroger sur les raisons qui poussent l'écrivain à écrire le récit de sa vie : il serait trop réducteur sans doute de n'y voir que la conséquence d'une marginalisation –subie ou souhaitée par rapport à la société, même si le fait d'être socialement exclu peut encourager le retour sur sa propre existence. L'autobiographie peut donc être également saisie et c'est la première raison qui retiendra notre attention - comme une réponse à un connais-toi toi-même qui passerait par un récit remontant nécessairement à l'enfance. Chateaubriand écrit dans les Mémoires d'outre- tombe : J'écris principalement pour rendre compte de moi à moi-même. [...]
[...] D'ailleurs si l'écrivain est aussi bien historien qu'autobiographe c'est en partie parce qu'il peut établir un parallèle entre les destinées historiques et sa propre histoire de mémorialiste.: Par exemple la figure du Roi - Père, incarnation d'un monde figé et de l'agonie familiale des Chateaubriand se superposent à l'agonie dynastique des bourbons, la légitimité royale dépassée qui rejoint la légitimité patriarcale. Or, c'est justement parce qu'il parvient à articuler le passé le plus intime avec la temporalité de l'Histoire qu'il peut transporter le lecteur dans un autre temps qui est celui du mythe. [...]
[...] Pour lui, l'autobiographie n'est pas un monument achevé mais un acte, une construction en ligne brisée. D'ailleurs, chez lui, il s'agit bien plus d'une analyse que d'un récit. C'est un projet qu'il choisit sans doute au nom d'une authenticité renforcée par les croquis, qui agissent comme un texte bilingue, comme pour fixer du souvenir le maximum au moment où il resurgit, en le rattrapant dans son espace d'accomplissement. Or, on peut remarquer qu'en matière d'histoire, les auteurs évitent tous deux la tentation d'un possible manichéisme, même si les opinions de Stendhal sont souvent plus arrêtées. [...]
[...] Pourtant paradoxalement, c'est bien la vie de Henry Brulard qui sera le tremplin qui permettra l'écriture de la Chartreuse de Parme. Quant à Chateaubriand ce chercheur nostalgique des moments passés tournés vers nulle autre perspective que la tombe. Il écrit dans le quatrième livre des Mémoires au soir de sa vie que dans la vie pesée à son poids léger ( ) il n'est que deux choses vraies : la religion avec l'intelligence, l'amour avec la jeunesse, c'est-à-dire l'avenir et le présent comme s'il acceptait enfin son passé et le reconnaissait comme tel. [...]
[...] En effet que ce soit dans le récit de l'imperfection et de l'analyse avortée mais dépassée par l'écriture qui ne se ressent justement pas de ces ruptures pour Stendhal ou bien au contraire dans cette force irrépressible qui survit aux aléas de la vie comme l'écrit J. C. Berchet et par laquelle se révèle toute la beauté et la vanité du monde chez Chateaubriand. On peut dire comme Proust dans le temps Retrouvé à la lecture de ces deux oeuvres : Une minute affranchie de l'ordre du temps Mais la recréation par la mémoire d'impressions qu'il faut ensuite approfondir, éclairer, transformer en équivalents d'intelligence, n'est-ce pas l'essence même de l'oeuvre d'art ? [...]
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