Les titres des deux premiers romans de Jane Austen, Sense and Sensibility et Pride and Prejudice se ressemblent du fait de leur équilibre rythmique et syntaxique. Tous deux établissent une distinction entre deux termes : la raison et les sentiments d'une part, l'orgueil et les préjugés d'autre part. Toutefois, Sense and Sensibility renvoie à deux qualités de l'être humain tandis que Pride and Prejudice énonce deux défauts. De plus, dans Sense and Sensibility, les qualités de raison et de sentiments sont associés à deux personnages différents. Elinor incarne la raison tandis que Marianne symbolise les sentiments. A l'inverse, l'orgueil et les préjugés sont deux défauts que possèdent en commun Darcy et Elizabeth. En conséquence, de par son titre, Pride and Prejudice se présente comme un Bildungsroman, exigeant une conversion des héros qui ne peut s'acquérir que grâce à un travail sur leur raison et sur leurs sentiments.
La raison est la faculté de penser logiquement. Le terme vient du latin ratio qui signifie le calcul, la supputation et le compte. En grec, la raison se dit logos et se définit à la fois comme la parole, le discours et la théorie. Devenir un être de raison implique donc de maîtriser son langage. On dit qu'un comportement est irrationnel lorsqu'il est inspiré par les émotions. A ce titre, les sentiments, état affectif reliant des représentations et des émotions, ont une acception opposée à celle de la raison. Etre doté de raison exclut le fait d'être pourvu de sentiments et inversement. Ainsi, Charlotte Lucas, l'amie d'Elizabeth, est un être de raison comme en témoigne son mariage avec Mr Collins pour lequel elle n'éprouve aucun sentiment. A l'opposé, Lydia est un personnage irrationnel puisqu'elle fait le choix du cœur et non de la raison en épousant Wickham. Néanmoins, on constate que les personnages dépourvus de raison ou de sentiments souffrent d'un manque.
Dans ces conditions, dans leur progression vers la connaissance et le bon jugement, Darcy et Elizabeth doivent-ils chercher à devenir soit des êtres de raison, soit des êtres de sentiments ou bien au contraire doivent-ils tenter de concilier raison et sentiments ? En d'autres termes, le vrai bonheur réside t-il dans l'opposition ou dans la coordination de la raison et des sentiments ? Le travail que les héros doivent réaliser sur leur raison et leurs sentiments est-il le même et a t-il le même but dans le roman de Jane Austen et dans le film de Joe Wright ?
[...] Elizabeth souffre ainsi d'une instabilité au niveau de ses sentiments car elle ne sait pas utiliser sa raison de manière pertinente pour décrypter les messages que lui envoie son cœur. Elizabeth s'attache tout d'abord à Wickham. Puis, une fois avoir pris conscience du danger que représenterait une union avec ce dernier, Elizabeth porte son intérêt sur le Colonel Fitzwilliam. Ainsi, durant la première moitié du roman, Elizabeth erre d'une personne à une autre, de la même manière qu'elle erre dans un endroit à l'autre : Longbour, Netherfield, Londres, Rosings, Pemberley. [...]
[...] Ainsi, en se précipitant à Netherfield au chevet de sa sœur malade, Elizabeth se différencie des autres membres de sa famille, ce dont témoigne le texte: In Meryton, they parted ; the two youngest repaired to to the lodgings of one of the officiers' wives, and Elizabeth continued her walk alone Lydia et Kitty abandonnent Elizabeth à mi-chemin. Le verbe repair souligne que les sœurs cadettes sont appelées à répéter les mêmes codes. Elles sont inscrites dans une économie du même. À l'inverse, Elizabeth continue sa route vers des nouveaux univers. La volonté de s'améliorer est donc bien présente chez l'héroïne qui affirme, en représentante de la période des Lumières, son désir de penser par elle. [...]
[...] La lumière s'obscurcit, soulignant ainsi le flou de son esprit. Il s'agit d'une scène silencieuse, contrastant avec l'aspect très verbal de la réflexion de l'héroïne dans le roman. En déplaçant la scène d'introspection et en suggérant l'égarement d'Elizabeth, Joe Wright désire avant tout insister sur l'aspect romantique de la scène. La visite de Pemberley constitue la deuxième étape essentielle dans la progression d'Elizabeth puisqu'elle la confirme dans son intérêt pour Darcy. L'élogieux portrait que dresse Mme Reynolds, la gouvernante de Pemberley corrobore les intuitions d'Elizabeth selon lesquels Darcy est un individu possédant de nombreuses qualités personnelles. [...]
[...] C'est le cas de Jane qui emploie un langage posé et mesuré. Son comportement est modéré comme en témoigne les expressions que lui sont généralement associées : composure countenance À côté des types littéraires incarnant la raison, il existe des personnages dotés uniquement de sentiments. Lydia est ainsi un être de passions, privé de tout bon sens. Ceci se manifeste au fil du texte par son comportement et son langage, qui ne sont pas dignes d'une fille de la gentry. [...]
[...] Joe Wright met d'ailleurs en évidence la tendresse maternelle de Mrs Bennet au moment du départ de Lydia et de son époux. Enfin, Joe Wright ne représente dans son film le thème de l'économie de la raison si présent dans le roman de Jane Austen. Il préfère, en effet, même l'accent sur les personnages caricaturaux, synonymes d'excès et de débordement que sur des personnages posés et mesurés. En définitive, dans le roman de Jane Austen comme dans le film de Joe Wright, les personnages dotés seulement de raison ou de sentiments souffrent d'une carence existentielle. [...]
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