Les questions fondamentales liées à la vie et à la mort ont toujours hanté les poètes. Elles sont l'essence même, souvent, de leur mal-être et de leur questionnement sans fin.
[...] Une autre différence majeure réside dans le fait que pour Saint-Denys Garneau, il y a bel et bien une vie avant la mort, une vie dont on doit profiter (vers 6 à 12). En effet, si nous profitons pleinement de la vie, si l'on "rit beaucoup", la notion de mort qui demeure tapie au plus profond de nous sera apaisée par le bonheur de vivre. Par contre, dans Le Corbeau, il n'est question de rien d'autre que de mort. La mort semble toujours prédominer, reléguant la vie au rang d'antichambre lugubre où tout n'est que souffrance. [...]
[...] Si l'oiseau se fait rapace pour détruire le poète, ce dernier, chez Saint- Denys Garneau comme chez Nelligan, adopte l'attitude d'un être attentif, c'est-à-dire fataliste, obsédé qu'il est par le triomphe qu'il juge inéluctable de la mort. Ainsi, dans Cage d'oiseau : “Lorsque rien n'arrive / On entend froisser ses ailes / Et quand on a ri beaucoup / Si l'on cesse tout à coup / On l'entend qui roucoule / Au fond“ (Cage d'oiseau, 1937) De même dans Le Corbeau, l'attention obsessionnelle que porte le poète aux corbeaux qui "planent lugubrement" atteint son paroxysme à la fin : “Mon âme, une charogne éparse au champ des jours, Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier. [...]
[...] A-t-on raison de penser que Saint-Denys Garneau et Émile Nelligan présentent, dans Cage d'oiseau et Les Corbeaux, une même vision de la fatalité ? Discutez. Les questions fondamentales liées à la vie et à la mort ont toujours hanté les poètes. Elles sont l'essence même, souvent, de leur mal-être et de leur questionnement sans fin. Poètes québécois appartenant au courant symboliste, Saint-Denys Garneau et Émile Nelligan se sont tous deux interrogés, dans le sillage des poètes maudits tels que Verlaine ou Baudelaire, sur la mort, cette fatalité qui les a rongés jusqu'à les mener à la folie. [...]
[...] On comprend alors que pour Saint-Denys Garneau, c'est sans doute davantage la "cage d'os" que l'oiseau lui-même qui est vecteur de mort. Car en effet, il y a là une différence essentielle entre les deux poètes : l'essence même de l'oiseau, pour Saint-Denys Garneau, n'est pas forcément mauvaise, elle est même tout le contraire si l'on se réfère à son poème "Portrait" : “C'est un drôle d'enfant C'est un oiseau Il n'est plus là „(Portraits, 1937) Pétri d'innocence et de liberté, l'enfant devient oiseau et est de ce fait capable de s'enfuir. [...]
[...] Sa vision de l'oiseau qui tente de s'envoler rappelle d'ailleurs ce que Gaston Bachelard écrivait dans L'air et les Songes : "Dans le règne de l'imagination comme dans la paléontologie, les oiseaux sortent des reptiles; bien des vols d'oiseaux continuent les marches rampantes du serpent. Les hommes, dans leur vol onirique, triomphent de la chair rampante." (Gaston Bachelard, L'air et les songes, Paris, Librairie José Corti p.95). L'homme devenu oiseau, ou l'homme tentant de maîtriser l'oiseau qui est en lui, parvient ainsi à faire vivre son âme au-delà de la mort. Il existe effectivement, comme je l'ai souligné dans la première partie, des similitudes entre les deux poètes dans leur vision de la fatalité, mais ces similitudes ne sont d'après moi que superficielles. [...]
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