Nous étudions le passage vers 551 à 574, de la scène 3 de l'acte II. Jocaste y rencontre Polynice dans le but de le pousser à la paix. En effet, elle en avait fait la demande à Étéocle à la scène 3 de l'acte I qui avait accepté et se tenait prêt à laisser le peuple choisir son roi entre lui et Polynice. Cette scène est donc importante puisque c'est la première apparition de Polynice et que s'il accepte la proposition de son frère, le choix du peuple pourrait mettre fin à leur guerre. Toutefois, l'effet d'attente sera restreint puisqu'il a été anticipé dans la scène précédente où l'oracle prédit le sacrifice nécessaire du 'dernier du sang royal'.
[...] "De ce titre odieux mes droits me sont garants" Polynice utilise la loi comme une pièce à conviction justifiant de ses actes. Il reprend le même type d'argument que précédemment, la raison triomphe grâce aux lois et les passions du peuple n'ont aucun pouvoir sur le roi : ici, elles ne peuvent lui ôter sa légitimité. Or cette même loi qui le sert en apparence lui pose des œillères, il se montre incapable de comprendre ce que sa mère cherche à lui dire et ne voit pas le danger qu'elle lui présente. [...]
[...] La justification de Polynice L'énonciation de Polynice Dans la question qu'elle pose avant le passage étudié, Jocaste engage son fils à se justifier d'actions qui lui apparaissent sanglantes et inutiles : v : " Pourquoi par tant de sang cherchez vous à régner " v : " Sur ce peuple endurci que rien ne peut gagner? " Jocaste exprime ici, à travers le reproche, toute l'angoisse d'une mère qui craint de perdre son fils. Il est important de saisir la sensibilité de cette question afin de remarquer le décalage qu'impose Polynice, en retour, dans son énonciation. En effet à l'apostrophe "mon fils" de Jocaste, Polynice réplique "madame" a sa mère et crée ainsi un effet de mise à distance entre lui et son interlocutrice. [...]
[...] De même on peut remettre en cause sa bonne foi au vers 566: "Au rang ou pour la force il a sut parvenir" Ce vers est la preuve de la partialité du jugement de Polynice, puisque la version d'Étéocle le contredit v : "Et lorsque sur le trône il s'est voulu placer C'est elle et non pas moi qui l'en a su chasser Thèbes doit elle moins redouter sa puissance, Après avoir six mois senti sa violence?" Un tel rapprochement de deux faits, différemment relatés nous contraint à observer un certain recul vis à vis de l'argumentation de Polynice. Si Étéocle est esclave de son peuple, Polynice est prisonnier de son propre jugement duquel il ne peut sortir. En réalité ni l'un ni l'autre ne contrôlent la situation. Peut- t-on pour autant dire que Polynice est un personnage tragique? Certes, il appartient à la temporalité tragique, seulement il ne parait pas en avoir conscience. [...]
[...] Le roi ne peut commander celui auquel il obéit. De la même façon que pour l'antithèse précédente, ce sens modifie sensiblement les relations qu'entretiennent ensemble les deux hémistiches du second vers et permet de mettre en doute la réalité de l'effet produit en accordant à la concession un impact plus grand que la conséquence elle- même ici, Étéocle sacrifie son honneur et sa fierté. Par cette critique d'Étéocle, Racine donne du volume au personnage ; le lecteur l'a rencontré à la scène 3 de l'acte 1 mais l'appréhende maintenant sous un autre angle, celui- ci est complémentaire, et confirme certains propos d'Étéocle dont il pouvait douter comme ce vers que j'ai déjà cité : "Et je suis son captif je ne suis pas son roi " à Mais voyons en quoi cette critique d'Étéocle par Polynice ne répond pas seulement à un besoin de connaître mieux ce personnage mais nous fait pénétrer dans le système de pensée de Polynice, fondamentalement différent de celui de sa mère. [...]
[...] Il anticipe ici cette dernière scène dans laquelle il fait face à Étéocle, en posant les modalités de leur relation, complétant ainsi la scène 3 de l'acte I. Ce passage met en œuvre l'incapacité des deux personnages à communiquer et souligne le tragique qui en découle chez Jocaste. Déjà la situation semble bloquée et on n'aperçoit aucune issue. [...]
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