Dans l'économie du recueil épistolaire Les Liaisons dangereuses, le couple libertin que composent la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont est indissolublement lié par les complots qu'ils se complaisent à fomenter. Ainsi, Laclos, à l'inverse de Shakespeare, n'esquisse pas l'idylle de deux amants enclins à la passion amoureuse, il brosse le portrait de deux figures de l'avilissement et de la compromission, rois du stupre qui s'érigent en signalés contre-héros romanesques en ce qu'ils entendent fulgurer par l'avènement de la détestation et du vice, valeurs maîtresses d'une relation libertine fondée sur une mondanité jalouse et outrancière. Frears, deux siècles plus tard, entreprend une adaptation cinématographique du roman dans laquelle il donne à voir une Marquise de Merteuil double et méphistophélique, d'autant plus coupable qu'elle feint la cagoterie et l'aménité.
En quoi la Marquise de Merteuil est-elle une femme truculente, complexe, dont la personnalité fusionnante trahit l'ambiguïté de son caractère ?
[...] A l'image de Dom Juan, elle est celle qui a secoué le joug de Dieu et qui s'est affranchie de la morale religieuse. En effet, la Marquise s'est créée elle-même et a façonné le personnage qu'elle est, ce qui lui insuffle une dimension démiurgique. Si l'on se réfère à la lettre 4 du roman, c'est la métaphore de la transgression religieuse qui irrigue la missive, par le choix d'un lexique ironique et délétère qui rappelle que le libertin fustige la religion et la parodie avec virulence. [...]
[...] La Marquise est donc une femme de la Terre, une femme humaine et non une créature divine. Coupable d'hybris, le libertin désire avant tout devenir la divinité de sa victime, ce que confirme la lettre 63 où la Marquise s'amuse de sa duplicité auprès de sa cousine et de Cécile : Me voilà comme la divinité ; recevant les vœux opposés des aveugles mortels, et ne changeant rien à mes décrets immuables Cette sentence suppose d'une part qu'elle ne se considère pas comme un être mortel, mais surtout qu'elle est une déité immuable, intemporelle, devenant l'antithèse le pastiche ? [...]
[...] Tartuffe de mœurs Travestissement de la vérité, duplicité et faux-semblants sont les apanages de la Merteuil. Dans le film, Glenn Close, par des mimiques significatives exemple, sa moue dégoûtée quand elle assiste au cours de chant mené par Danceny auprès de Cécile, constatant la fatuité de la jeune aristocrate sait dissimuler, feindre, jouer. Elle est, selon ses propres termes, une virtuose de l'hypocrisie art dans lequel elle excelle, ce que corrobore la citation Je devins rêveuse, à tel point qu'on fut forcé de s'en apercevoir. [...]
[...] Outrepassant sa condition de femme, la Marquise est une figure marginale en ce sens qu'elle veut vivre indépendamment des autres femmes. Ses frasques libertines sont davantage masculines que féminines, si bien qu'elle vit presque comme un homme, jetant l'opprobre sur les uns, refusant d'essuyer les critiques d'autres. Sachant que Valmont jouit de l'avantage de son sexe, elle sait qu'elle doit tout prouver, en femme qui se veut libre et indépendante. Dès lors, elle institue son sexe en force destructrice et révolutionnaire. [...]
[...] Frappée par la petite vérole, conspuée par le théâtre du monde, Mme de Merteuil subit les foudres d'un auteur qui s'attaque à ce qui lui servait d'arme, son physique. Quant à Frears, il prend le parti de mettre à bas la théâtralité d'une femme duplice et hypocrite, à la fois sensible et immorale. Si Les Liaisons Dangereuses ont longtemps été bannies de la littérature française, c'est parce que l'auteur y dépeint avec exactitude les agissements d'une femme dont la noirceur n'a d'égale que sa cruauté. [...]
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