C'est au XVIIIe siècle que le roman épistolaire connut son apogée avec le chef d'œuvre de Choderlos de Laclos les Liaisons dangereuses. Au XVIIe siècle, Guilleragues l'avait déjà popularisé avec la publication des Lettres portugaises qu'il avait faites passer pour authentiques. L'expression des sentiments, de leurs mouvements contradictoires est depuis ses origines un thème privilégié du roman épistolaire. On peut se demander en quoi le genre du roman par lettres favorise l'expression de la passion et des désordres amoureux. Les caractéristiques de la lettre, sa situation d'énonciation particulière, son style spontané, sont-ils spécialement adaptés à la formulation des sentiments ? Nous pourrons d'abord vérifier que la lettre appartient à la sphère de l'intime. Puis nous envisagerons la spontanéité de l'écriture épistolaire. Enfin, nous nous demanderons comment la lettre parvient à tisser les liens amoureux.
[...] C'est souvent le but de la correspondance entre Valmont et la marquise de Mercueil dans les Liaisons dangereuses : on y trouve un compte rendu distancié de leurs faits et gestes qui met en valeur tout leur cynisme. La religieuse portugaise, qui semble bien décidée, dans la lettre à faire le deuil de son amour, montre aussi beaucoup de recul : elle dissocie sa passion, qu'elle continue de trouver admirable, de son amant, qu'elle trouve méprisable. Cette distance par rapport aux évènements l'aide à trouver la volonté de rompre définitivement. [...]
[...] De plus, grâce aux lettres successives, la structure d'un roman épistolaire s'avère naturelle ; chaque lettre correspond à un moment, à un jour et leur juxtaposition rend compte de l'évolution des sentiments. Ainsi les Lettres portugaises sont seulement au nombre de cinq : toutes on été écrites par la religieuse après le départ de son amant en France. On y perçoit la progression de ses états d'âme. La première est la plus étonnée, elle interroge beaucoup. La seconde est la plus résolue, impérative sans ses revendications. La troisième lettre est la plus déchirée et témoigne d'un grand désarroi. L'avant-dernière lettre est plus narrative, rétrospective. [...]
[...] En effet, les lettres reflètent l'état d'esprit d'un instant : elles sont datées et envoyées peu de temps après leur écriture, elles fixent donc les états d'âme éphémères. Elles témoignent des mouvements du cœur, dictées plus par les sentiments que par la raison. Elles sont donc propices aux contradictions ou aux épanorthoses. On peut voir que le discours de la marquise de écrite en 1732 par Crébillon fils, est rempli de ces contradictions. Quand elle affirme je ne vous aime pas elle remet immédiatement en doute son propos par une question : Serait-il possible que je m'abusasse ? [...]
[...] C'est grâce à cette lettre qu'elle existe enfin aux yeux de son amant idéal, et qu'elle matérialise ses sentiments pour lui. D'autre part, on peut dire que les lettres génèrent les sentiments : c'est souvent en les exprimant qu'ils se mettent à exister. Quand la religieuse écrit sachez que je m'aperçois que vous êtes indigne de tous mes sentiments dans les Lettres portugaises, on a l'impression que c'est en l'écrivant qu'elle s'en rend compte. La déclaration des sentiments a un aspect illocutoire. [...]
[...] Cette impression est souvent renforcée par les effets de vérités voulus par les auteurs. Ainsi, Guilleragues a su si bien entretenir le mystère sur l'origine des lettres de la religieuse qu'on a cru pendant longtemps qu'elles avaient été écrites par une certaine Mariana de Costa Alcoforado (1640-1723), mais celle-ci était noble, alors que l'héroïne du roman se plaint de sa condition au couvent de Beja. On avait même cru identifier le destinataire des lettres : un certain Noël Bouton de Chamilly, qui avait pris part à une expédition au Portugal en 1667, et n'a jamais rien démenti. [...]
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