Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, Arthur Schopenhauer écrit : « le monde est ma représentation », « l'univers entier n'est objet qu'à l'égard d'un sujet, n'est perception que par rapport à un esprit percevant, en un mot, il est pure représentation ». Et bien l'on peut, dans des proportions évidemment plus humbles, appliquer cette grille de lecture au roman de Proust. Car en effet, comme l'écrit un critique : « dans Du côté de chez Swann tout n'est qu'apparences ». Tout n'est qu'apparence, car le réel passe nécessairement au travers du prisme de la représentation de l'esprit, qui est subjective, changeante, relative, éventuellement faussée, etc. Ainsi, dans le roman de Proust, ces apparences sont protéiformes : elles sont « sensibles », lorsqu'elles concernent la vision des choses, par exemple ; elles sont « culturelles » et « sociales », lorsqu'elles prennent la forme de la fausseté mondaine ou des codes hypocrites de la société ; et elles sont « imaginaires », « abstraites », lorsqu'il s'agit des représentations conscientes et subjectives. Avec cette façon de percevoir les choses, on rejoint les préoccupations impressionnistes, selon lesquelles, notamment, la réalité n'a de sens qu'à travers la perception ? réelle ou imaginaire ? du sujet. Et les développements de Proust sont éloquents de ce point de vue, puisqu'ils décrivent tout autant, sinon plus, les impressions nées de la contemplation de l'objet (animé ou non) que l'objet lui-même. L'auteur rejette donc le réalisme pour un style plus impressionniste, comme le suggèrent par ailleurs ses phrases si particulières. Car en effet, tout se passe comme si ces longues phrases complexes et digressives organisaient une distance entre le réel et la vie intérieure, par la représentation d'une sorte de voile : celui de la subjectivité. Proust cherche les lois générales de la vie, en approchant la réalité des choses et en analysant chaque facette visible des objets observés ; il est constamment immergé avec son lecteur dans un univers écrasant ? mais fascinant ? dont les phrases interminables reflètent l'infinité des apparences et des possibles.
[...] Ensuite, dans une seconde partie, on peut voir la façon dont Proust représente les apparences sociales que ce soit l'hypocrisie sociale en générale ou le grotesque des salons mondains en particuliers. Enfin, dans une troisième partie, on peut s'intéresser au lien entre apparences et subjectivité consciente avec l'amour et la perception du temps, par exemple. Ainsi, pour le narrateur proustien, la représentation du monde dans lequel il évolue est avant tout basée sur l'aspect physique des choses, sur les apparences visuelles. On a l'impression que chaque objet est littéralement dévoré du regard par le narrateur, et sous tous ses aspects. [...]
[...] Proust cherche les lois générales de la vie, en approchant la réalité des choses et en analysant chaque facette visible des objets observés ; il est constamment immergé avec son lecteur dans un univers écrasant mais fascinant dont les phrases interminables reflètent l'infinité des apparences et des possibles. Dès lors, on peut s'interroger sur l'importance de ces apparences en étudiant la problématique suivante : dans quelles mesures le monde du narrateur proustien est-il une somme d'apparences diverses liées à ses propres représentations subjectives ? [...]
[...] Pour lui, l'intérêt consiste à décrire le fonctionnement de la conscience, avec cette subjectivité qui se dresse entre le sujet et l'objet. Et parce que le narrateur proustien comprend que la réminiscence est finalement le seul plaisir digne d'être vécu supérieur à l'amour, le monde aristocrate et toutes ces fictions qui comportent leurs lots de déceptions et de peines il part à la recherche de la félicité : son bonheur, tout entier incarné dans les réminiscences et autres impressions qui transcendent l'être. [...]
[...] Et outre la profusion de détails, l'importance accordée aux apparences visibles marque la volonté Proustienne de déréalisation du réel. La description des deux clochers de Martinville et de celui de Vieuxvicq en est un bon exemple : le narrateur, qui se trouve dans la voiture du Docteur Percepied, explique que ces clochers changent d'aspect selon les lacets du chemin et l'éclairage du jour. Les apparences sont donc soumises au mouvement de la voiture, elles ne sont pas statiques, elles sont relatives, et on assiste à une espèce de séquence cinématographique composée d'images changeantes d'ailleurs, les trois clochers sont symboliquement comparés à trois oiseaux posés sur la plaine Cette scène n'est pas sans rappeler le kaléidoscope d'images imposé au jeune narrateur à Combray, pour le faire dormir, avec les diapositives de la lanterne magique aux apparitions multicolores. [...]
[...] En allant jusqu'au bout de l'expression du critique, on pourrait dire que chez Proust, tout n'est qu'apparences, parce que celui-ci considère le monde comme une matière assimilable à l'esprit, dont le fondement est l'esprit et ses représentations. En effet, avec sa vision des réalités humaines et matérielles, l'auteur de La Recherche reprend à son compte la formule le monde est ma représentation en poussant le subjectivisme jusqu'à ses conséquences extrêmes. Le monde n'a pas de réalité en soi, il n'est qu'apparences et ces apparences relèvent de celui qui les perçoit. Nous ne connaissons que des fantômes, des images qui n'ont d'autre identité que celle que nous leur attribuons. [...]
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