Baruch de Spinoza est certainement le disciple le plus compromettant de Descartes. Né en 1632 à Amsterdam, dans une famille juive d'origine portugaise, il fréquente des Juifs libéraux et se détache de l'orthodoxie juive. Il est «excommunié» en juillet 1656. Un Juif fanatique tente même de l'assassiner.
Chassé de la communauté juive, Spinoza va assurer sa subsistance en polissant des verres de lunettes, près de Leyde, puis à La Haye. Après avoir publié, en 1663, les Principes de la philosophie de Descartes, il fait paraître anonymement, en 1670, le Traité théologico-politique. Cet ouvrage est explosif : Spinoza y expose une méthode critique pour étudier les textes sacrés et nie les miracles. Grâce à la protection de Jan de Witt, un homme politique hollandais, Spinoza est épargné, mais le Tractatus lui vaut bien des insultes. En 1673 l'Electeur du Palatinat (Rhénanie) offre à Spinoza une chaire de philosophie à Heidelberg. Le philosophe, craignant de ne pouvoir s'exprimer librement, refuse cette chaire. Spinoza meurt, en février 1677. L'Ethique est publiée l'année de sa mort, ainsi que les œuvres posthumes. Après sa mort, le spinozisme, condamné en tant que doctrine athée, eut une influence durable. Deleuze l'appelait le « Prince des philosophes », tandis que Nietzsche s'inspira explicitement de son refus de la téléologie. Certains psychanalystes le tiennent pour le philosophe ayant le plus ouvert la voie à Freud.
Le commentaire qui suit n'a pas la vocation à être exhaustif. Il est simplement un point de départ pour une réflexion sur les enjeux philosophiques de l'anthropologie spinoziste.
[...] Le 17e siècle a institué avec Descartes, Spinoza et les autres philosophes rationalistes, le triomphe de la raison : on expliquait l'homme, le monde et l'univers "de manière géométrique", c'est-à-dire par déduction logique. Loin de faire aveuglément confiance aux pouvoirs illimités de la raison, Spinoza s'interroge plutôt sur ce que l'esprit peut connaître. L'homme, quoique sujet connaissant, quoiqu'éventuellement heureux, n'est qu'une partie de la Nature. La connaissance des voies du bonheur implique la connaissance de l'être, celle de l'esprit et celle de ses affections. [...]
[...] Le sage est celui qui atteint l'apathie (pathos : l'affect). Au contraire, l'objectif de l'éthique spinoziste n'est pas de faire disparaître les affections, mais de les conduire, de les diriger. La distinction ne peut se faire sur le critère de leur intensité : il ne s'agit pas de tolérer les passions en deçà d'un certain seuil et de les condamner au-delà. La limite est d'ordre qualitatif : l'homme qui éprouve des affects tels qu'ils diminuent sa puissance d'agir descend vers une moindre perfection de sa nature. [...]
[...] En effet, il traite de l'homme dès la première partie, quand il cherche à expliquer les lois communes à toutes les choses. Autrement dit, le discours sur l'homme n'est pas isolé de l'ontologie. Les systèmes métaphysiques du XVII° siècle comme celui de Descartes, Spinoza ou Leibniz partagent un concept essentiel, celui de Dieu. Dieu est le premier principe des grands systèmes de cette époque, celui dont tout dépend. On peut penser qu'un système est alors entièrement contenu dans la définition qu'il donne de ce premier principe. [...]
[...] Par ailleurs, il s'agit d'une éthique et non d'une morale. Spinoza rejette ce lieu commun de la description des passions comme une cause de l'impuissance et de l'inconstance humaines. Si les Anciens ne peuvent attribuer à la nature des choses l'impuissance et l'inconstance humaines, ils en voient la source dans une imperfection, un vice, de la propre nature de l'homme. Cette proposition est pleinement compatible avec une doctrine qui attribue à un "créateur" une supériorité inintelligible et des desseins impénétrables. [...]
[...] De ce point de vue il nous semble que Spinoza innove et modifie puissamment le projet humaniste. Le cadre ontologique est profondément changé et l'homme prend ses racines dans un horizon d'absolue immanence. La liberté n'est pas l'acceptation stoïcienne du monde, pas même la simple affirmation de soi, elle est pleinement innovation, création, surplus, excès ontologique. Ni apathie, ni ataraxie, ni expédient du clinamen : il se passe quelque chose dans le monde. Conclusion J'ai choisi cette Préface puisque d'un côté elle fait le pont entre le déterminisme galiléen et l'esprit du XVIIIe siècle qui va achever la rupture avec la représentation subjective, naïve et anthropocentriste du monde, telle qu'elle est exprimée dans le mythe. [...]
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