En juillet 1942 alors que la France est occupée par l'Allemagne nazie, les éditions Gallimard décident de publier L'Étranger, roman d'Albert CAMUS dont le manuscrit fut achevé en mai 1940. Cet ouvrage, en gestation depuis des années, appartient au contexte de l'avant-guerre. Cela permet d'ors et déjà de justifier de la non pertinence à vouloir l'analyser comme une réponse de Camus au contexte historique de la seconde guerre mondiale. Cet œuvre s'inscrit en revanche dans ce que l'auteur nomme “le cycle de l'Absurde”. Publié en même temps que Le Mythe de Sisyphe mais précédent Caligula, L'Étranger est l'occasion pour Camus de mettre en lumière la tragédie contemporaine de notre condition humaine à travers un récit à la première personne, celle de Meursault. Camus décide de reprendre dans la préface de l'édition améri-caine parue en 1955 une phrase qu'il avait déjà utilisée pour résumer son œuvre : “Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort”. Le paradoxe qui apparaît ici met en lumière les deux pôles fondamentaux de l'individu, à savoir sa dimension privée, intime et sa dimension sociale, publique. L'intervention de la société par un jugement aussi fort que la condamnation à mort sur un acte qui relève de l'ordre de l'intime est problématique. La figure de Meursault semble dès lors tiraillée par les notions antinomiques de culpabilité et de victime. Comment un homme qui vit dans la société peut-il en être aussi étranger ? Comment la société réagit-elle face à un homme qui est étranger aux conventions de la société ? Quel est le rôle et la place d'un tel individu dans la société ?
[...] L'anti-héros coupable et semble-t-il étranger au monde que laissait préfigurer le personnage de Meursault initialement semble être remis en cause. Meursault n'est il pas au contraire celui qui se bat contre la résignation face à l'absurde ? Celui qui ne serait qu'étranger face aux conventions de la société et dont il refuse de jouer le jeu mensonger ? Cette dernière mise en perspective de l'œuvre permet à Camus de redéfinir le rôle et la place de l'individu dans la société . [...]
[...] “L'absurdité est surtout le divorce entre l'homme et le monde” nous indique Camus. Si la société reproche à Meursault son étrangeté, c'est principalement du au fait que celle-ci débouche sur un comportement d'étranger. Et c'est cela qui effraie la société. Considérer que la société condamne Meursault pour le simple fait de ne pas suivre les codes de la société serait omettre une partie de la condamnation. La société effrayée par un de ses membres qu'elle ne peut comprendre, va chercher à l'éliminer. [...]
[...] Bartleby, le scribe protagoniste de l'oeuvre éponyme de Herman MELVILLE effraie également la société qui l'entoure. Si initialement la présence exaspérante de celui qui a adopté cette attitude extrême de l'esprit face à l'existence, c'est à dire celle du refus passif, exaspère et interroge, elle finit par inquiéter. La police est prévenue et tout le monde s'agite autour de celui qui ne cesse de répéter would prefer ne préférerais Sa mort représente un soulagement pour la société humaine qui est enfin délivrée de sa présence. [...]
[...] Meursault apparaît inhumain aux yeux du tribunal qui est amené à le juger en raison du meurtre qu'il a commis. Le procureur général l'accable en annonçant que dès le lendemain de la cérémonie, commence pour lui une relation avec Marie. Une circonstance aggravante s'ajoute lorsque la cour apprend qu'ils sont allés voir ce jour même un film de Fernandel. L'instruction semble être conduite contre ce caractère qu'il l'assimile à une épave échouée dans la société. Un individu qui n'est absolument pas inscrit dans la société et qui n'en respecte pas les codes car il semble, dans un premier temps en tout cas, ne pas les connaître. [...]
[...] Meursault, en prenant conscience de la dimension absurde de son procès, mais au delà de l'existence toute entière, ne reste pas indifférent. Il s'engage, refusant de se confondre à la société qui, trop habituée au mensonge, refuse de croire. Meursault s'interroge alors. qui m'intéresse en ce moment, nous dit-il après sa condamnation, c'est d'échapper à la mécanique”. Mais également, “comment les qualités d'un homme ordinaire pouvaient devenir des charges écrasantes contre un coupable”. Meursault est cet homme qui ne possède pas cet instinct de conservation, il ne fait que suivre un aiguillon, sa conscience, pure de tout mensonge. [...]
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