Pour une large majorité, les <em>Fables</em> de La Fontaine sont publiées dans les vingt premières années du règne de Louis XIV, marquées par un contexte politique mouvementé.
Dès 1661, Louis XIV chasse tous les grands seigneurs hors de son conseil des ministres et ne conserve que des technocrates d'origine bourgeoise comme Colbert, Le Tellier puis Louvois dont il fait les serviteurs de son règne personnel. Le Roi Soleil se fait obéir hors de Paris grâce au bon fonctionnement d'un réseau d'intendants, d'administrateurs nommés dans les provinces qui jettent les fondements d'une centralisation étatique. Il insuffle un esprit nouveau dans le monde de l'économie, cherche à stimuler l'exportation, protège par des droits de douane les industries françaises, développe le commerce maritime, les ports et les colonies. Sous l'impulsion colbertienne, se forment dans l'élite un véritable parti industriel, et même un parti maritime, qui favorisent un quasi impérialisme économique et colonial.
Après la disgrâce de son protecteur et mécène Nicolas Fouquet, Ministre des finances déchu, arrêté et condamné à la prison à vie, La Fontaine se retrouve presque sans ressources, fort mal vu du pouvoir royal et se voit contraint d'accompagner son oncle exilé en Limousin. En 1664, revenu à Paris, il entre comme "gentilhomme servant" dans la domesticité de la duchesse d'Orléans, y cultive l'amitié de Racine, de Molière, de Boileau et de Mme de La Fayette. La publication en 1665 de <em>Contes et Nouvelles</em> en vers lui vaut alors une certaine notoriété qui annonce l'immense succès, au printemps 1668, du premier recueil des <em>Fables</em>, comprenant les livres I à VI.
En 1672 éclate la guerre de Hollande : Louis XIV espère conquérir les Pays-Bas du Sud et abattre la concurrence formée par les négociants et les marins d'Amsterdam, dont les navires dominent les océans, de la Baltique à l'Indonésie. Le second recueil qui paraît en 1678, lorsque s'achève le conflit par la signature du traité de Nimègue, fait clairement écho à cette actualité. Le livre XII n'est lui publié que tardivement, en 1693 deux ans avant la mort du fabuliste, et témoigne d'une évolution de ce dernier : en se retournant vers les agitations et les vanités humaines, il ne trouve rien de préférable à la retraite, à la solitude et à la confiance en Dieu pour assurer le salut.
Il n'est pas inintéressant de s'interroger sur l'influence que l'actualité contemporaine de la composition des <em>Fables</em> a pu exercer sur leur matière, leur ton, sur l'éventuelle vision politique qu'elles pourraient véhiculer. Pour définir un terme aussi vague et polysémique que "politique", on pourra retenir deux sens principaux, l'un lié à l'organisation et l'exercice du pouvoir, l'autre lié à l'action. Un roi peut ainsi mener une politique particulière, c'est-à-dire agir dans un sens déterminé, voire dans un domaine particulier, alors que la politique lorsqu'elle est indéterminée désigne plus généralement ce qui se rapporte aux questions de gouvernement.
Aujourd'hui le risque est grand de ne plus saisir le sens ou les allusions que referment certaines fables trouvant leur origine dans des événements contemporains de leur composition. En comprendre la portée est pourtant essentiel pour mesurer combien le fabuliste intervient dans les débats politiques de son temps. Il convient donc d'associer l'étude des <em>Fables</em> à celle de l'histoire française et de l'histoire personnelle de La Fontaine pour percevoir toute la finesse, toute l'habilité, et parfois l'audace de leur auteur. Cette ambition se rapproche du travail d'analyse événementielle effectué par Georges Couton dans son ouvrage <em>La politique de La Fontaine</em>, sur lequel nous nous fonderons en grande partie. Dans <em>La Fontaine politique, Pierre Boutang s'interroge lui peut-être davantage sur le politique que la politique</em>, sur la portée métaphysique des <em>Fables</em>. De fait le fabuliste fait référence, souvent au travers d'allusions, à la politique intérieure et extérieure de Louis XIV. Son interrogation sur le pouvoir semble aboutir à un conservatisme politique intraitable. On peut tout de même se demander si les <em>Fables</em> ne contiennent pas les éléments d'une réflexion sur la politique en général, sur les modalités d'organisation et d'exercice du pouvoir.
Nous procéderons chronologiquement en nous consacrant à l'étude du premier recueil, du second recueil puis du livre XII et tacherons de déceler dans l'oeuvre de La Fontaine quelques événements politiques majeurs qui ont pu être à la source de certaines fables, de certains sous-entendus ou qui accompagnent une réflexion générale sur son époque (...)
[...] L'année 1690 fut décevante pour les Français qui attendirent en vain une offensive. Or à la fin cette année, le Mercure galant, revue officieuse, publiait Les Compagnons d'Ulysse. La Fontaine cherche des excuses à cette inactivité du Dauphin : Quelque dieu le retient (c'est notre souverain) Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin ; Cette rapidité fut alors nécessaire ; Peut-être elle serait aujourd'hui téméraire. La Fontaine, avant tout courtisan, refuse de voir l'épuisement de la France et interprète à la plus grande gloire du souverain aussi bien la lenteur que la rapidité de ses armées. [...]
[...] Il ne mentionne certes jamais le nom de Fouquet. Le faire aurait été trop dangereux ou trop imprudent. Mais les animaux connaissent des situations et des sorts comparables à celui du ministre disgracié. La Fontaine procède par allusions et par transpositions. Ainsi la morale de La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf 3.) est particulièrement intéressante : Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages. [...]
[...] Jupiter leur envoie un roi débonnaire, puis, les grenouilles réclamant à nouveau du changement, un tyran. Lorsque celles-ci s'en plaignent, il finit par les sermonner : Vous avez dû premièrement Garder votre gouvernement ; Mais ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire Que votre premier roi fût débonnaire et doux : De celui-ci contentez-vous, De peur d'en rencontrer un pire. Ce conseil, adressé à un peuple d'abord républicain, n'implique aucune préférence absolue pour la république. Le changement n'est pas condamné parce qu'inopportun, ni parce qu'il a été renoncement à la forme démocratique, mais par cela qu'il est changement. [...]
[...] Les allusions sûres ou même probables à la politique intérieure sont, somme toute, relativement rares dans les Fables. Si elles sont légèrement plus explicites dans le second recueil que dans le premier, c'est sans doute qu'avec le succès, l'audace est venue à La Fontaine. Il est cependant probable qu'une large part de la connivence que l'auteur attendait de son public nous est aujourd'hui étrangère. Des vers, pour nous anodins, pouvaient, évoquer une actualité plus ou moins éphémère ou anecdotique, mais aisément perceptible pour La Rochefoucauld ou à Madame de la Sablière. [...]
[...] Quel degré de confiance lui accorder ? Le Rat refuse donc l'amitié du Chat. Il fait bien, selon La Fontaine : on ne saurait espérer que le Chat change de nature. B. Politique intérieure La politique intérieure et ses conséquences sur la vie quotidienne alimentent tantôt le récit, tantôt la morale des fables. Ainsi, dans Le Savetier et le Financier (VIII, l'artisan se plaint du trop grand nombre de fêtes chômées dans l'année : Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours Qu'il faut chômer ; on nous ruine en fêtes ; L'une fait tort à l'autre ; et Monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône. [...]
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