Le poète est souvent représenté comme un rêveur, déconnecté des réalités, incapable de parler d'autre chose que de lui-même. Au-delà de ces stéréotypes hérités notamment du Romantisme, il est vrai que la poésie émane d'une sensibilité unique et peut-être plus aiguë que celle du commun des mortels. Pour autant, peut-on affirmer que parler du monde, c'est forcément parler de soi pour le poète? Cette question nous invite à réfléchir sur le langage poétique et ses visées: est-il nécessairement l'expression du « Moi » du poète, même quand il dépeint une réalité extérieure à lui-même? De plus, cette notion de « monde » renvoie-t-elle forcément à l'univers réel? Dans cette double perspective, nous verrons dans un premier temps que le poète peut prendre appui sur le monde pour parler de lui. Nous montrerons dans un deuxième temps que le « Je » du poète sait se diluer, voire s'effacer au profit d'une réalité qui semble pouvoir exister sans lui. Nous nous attacherons enfin à étudier le regard singulier que le poète porte sur le monde.
[...] C'est ainsi que cette thématique est au cœur de la poésie de Baudelaire; dans son poème en prose Les foules il évoque par exemple l'ivresse qu'il y a à prendre un bain de multitude tout en connaissant le plaisir d'être seul dans une foule affairée». À travers la peinture de la réalité extérieure, Baudelaire définit son statut privilégié de poète, qui a le pouvoir de se nourrir du monde comme de s'en extraire. D'une certaine manière, la poésie classique interroge elle aussi un monde en profonde mutation, afin de redéfinir sa place. [...]
[...] Le poète peut prendre le monde comme support pour parler de lui 1. Le monde réel comme reflet des états d'âme du poète La poésie romantique a développé un nouveau rapport entre le poète et le monde. Le climat et les éléments semblent s'accorder à ses états d'âme et ses tourments. À l'image des saisons, son cœur peut être sujet aux orages ou aux renaissances printanières. Ainsi, dans son Sonnet extrait de son recueil Contes d'Espagne et d'Italie, Musset semble seulement rendre hommage à la douceur de Paris en hiver. [...]
[...] Les poètes antillais Aimé Césaire ou Édouard Glissant ont revendiqué avec fierté leur identité africaine et créole, et leur refus de se soumettre à la domination coloniale. Ainsi, le poète peut avoir l'ambition de parler du monde pour le changer. Il peut aussi le regarder comme une réalité nouvelle, sur laquelle il n'a aucune prise Le poète peut laisser l'initiative aux choses Au XXe siècle, la poésie rompt avec la tradition romantique et s'épanouit dans un rapport au monde moins mystique plus humble, peut-être. [...]
[...] Le poète s'approprie le monde extérieur pour le recréer La poésie est un complot contre le réel. Cette métaphore de Paul Eluard, poète surréaliste, exprime bien la puissance de l'écriture poétique, capable de s'approprier le réel pour le recréer à sa manière. Dans son Nocturne parisien extrait des Poèmes saturniens, Verlaine illustre cette puissance en opposant le Paris réel avec Ses deux quais crasseux et la ville regardée par les rêveurs; les monuments comme la cathédrale Notre-Dame et les éléments semblent soudain y prendre vie: Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,/ Au moment de mourir pose un baiser vermeil. [...]
[...] Cela dit, le voyage dans un nouvel imaginaire, entièrement construit par le poème, n'est pas le privilège de la poésie surréaliste. Les symbolistes et Rimbaud nous immergent eux aussi dans des mondes sans ancrage référentiel, des mondes oniriques. Quand Mallarmé, par exemple, écrit son sonnet dit en il ne fait pas explicitement référence à notre monde; en même temps, il nous invite à entrer dans un univers dont le relief est donné par le prisme» des mots, qui s'éclairent mutuellement. [...]
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