"Ce que l'on appelle poésie, à quoi cela nous sert ? On peut s'amuser à dire que c'est inutile, et que c'est dans la mesure que c'est inutile que c'est vraiment utile, etc. Ce sont des paradoxes que l'on a entendus jusqu'à la nausée, des paradoxes de supermarché. Nous ne pouvons continuer en rond de cette façon", écrit Michel Butor dans L'Utilité poétique. Aux premières pages de son ouvrage, Butor pose le problème de l'utilité de la poésie : en cela, il s'interroge de fait sur la validité d'une conception du milieu du XIXe siècle, selon laquelle la poésie serait "tout à fait inutile" et "passée de mode", telle que la rapporte Flaubert, non sans ironie, dans son Dictionnaire des idées reçues. Tandis que nombre de poètes avaient jusqu'alors affirmé et théorisé différentes utilités intrinsèques à la poésie, celle-ci serait désormais devenue inutile. De ce fait, le genre poétique lui-même serait un genre caduc. Or, poser une relation entre l'inutilité de la poésie et sa caducité revient à partir de l'idée selon laquelle l'utilité d'une chose lui confère sa raison d'être. Dès lors, la conception bourgeoise de ce siècle - ancrée dans l'utilitarisme et le positivisme scientifique - ne verrait plus aucune raison d'être au genre poétique là où il aurait été dépassé et discrédité par d'autres genres littéraires. De ce fait, la poésie serait alors "passée de mode", genre relégué à des temps anciens, genre qui ne serait plus adéquat aux évolutions du siècle. Néanmoins, une telle conception inscrit le genre dans une époque, et donc le circonscrit : or, la poésie a depuis perduré. Face aux faits, il convient donc de s'interroger sur la validité d'un tel raisonnement et de le questionner.
Pourquoi peut-on dire que la poésie est un genre littéraire dont les conceptions, ancrées dans une époque, ne remettent que peu en cause sa capacité à s'adapter et à traverser les épreuves du temps ? Néanmoins, cette capacité d'adaptation ayant pour corollaire une diversité profonde des discours poétiques, la possibilité de définir la poésie n'est-elle pas devenue une gageure, rendant le genre caduc ? Est-il donc toujours possible de trouver des principes communs à la poésie en parallèle d'une utilité réelle ?
L'ironie flaubertienne à l'égard d'une telle conception de la poésie nécessite la compréhension d'un contexte précis : il conviendra de montrer qu'il reste pourtant possible de trouver, avant, pendant et après ce contexte, des utilités réelles à la poésie : elle ne serait dès lors pas un genre caduc. Or, montrer que l'on peut trouver une utilité à la poésie reste incomplet : il sera alors nécessaire de rappeler que l'on ne peut circonscrire la poésie à une définition rigide tel que pouvaient le faire les théoriciens de l'âge classique (..)
[...] De fait, la poésie peut de ce fait être utile là où elle contribue à l'éclosion de mots désignant des concepts : ainsi, dans un siècle où règne le positivisme scientifique, les hommes de sciences deviendraient eux-mêmes des poètes dès lors qu'ils ont à puiser dans le latin riche langue poétique et conceptuelle pour désigner nombre de leurs découvertes. Or, ne cloisonnons pas la poésie : si elle a eu et continue d'avoir une utilité propre, l'une des critiques faites à son égard en ce milieu de siècle vise précisément le romantisme. Tandis que le Parnasse concourt à la mise en retrait de l'auteur et même l'impersonnalité dans les écrits le romantisme exalte lui les sentiments et les effusions d'un moi dans un lyrisme cherchant à embrasser l'universel. [...]
[...] Face à la diversité des manifestations poétiques, le genre pourrait être rendu caduc. Comment, en effet, mettre sur le même plan un poème de Tristan Tzara, suggérant de faire un poème en découpant un article de journal et en disposant les morceaux suivant l'ordre donné une fois sortis d'un sac, et un poème de Villon, de Ronsard ou même de Hugo ? Il devient dès lors nécessaire de trouver un principe commun qui puisse s'accommoder du caractère protéiforme de la poésie. [...]
[...] Ce rapport au réel, à travers la prose poétique balzacienne, confère précisément une utilité à la poésie en même temps qu'elle la prévient de tomber en désuétude : elle ne peut dès lors, dans le cas de Balzac, être taxée de genre caduc du fait qu'elle traduit par un procédé poétique précis (au sens d'Hegel) les rouages des comportements humains. En ce sens, le lecteur se trouve être immiscé dans une enquête où la recherche des causes et le narrateur-poète est peut-être en ce sens un Balthazar victorieux se réalise par des procédés poétiques. La caducité du genre ne peut donc être mise sur le compte d'un modèle d'expression qui se voudrait désuet. [...]
[...] Le poète est ce révélateur Du fait de son rapport à l'image, le genre poétique est un genre traversant les épreuves du temps et ne pouvant être passé de mode La pluralité de ses manifestations, loin de le rendre caduc, deviennent de nouveaux moyens d'expression renouvelant ce rapport précis à l'image. [...]
[...] Le roman réaliste du XIXe siècle, se donnant pour projet de donner un effet de réel à l'ambition totalisante, paraît à première vue éloigné de la poésie et plus proche du positivisme scientifique. Balzac ne se donnait-il pas pour projet de faire comprendre la société à travers la Comédie Humaine ? Et, dans les Études philosophiques, de donner à voir les rouages sous-jacents du comportement humain ? Un roman tel que la Recherche de l'Absolu ne paraît pas à première vue s'inscrire dans une attitude, dans une intention poétique. Or, des procédés chers à Balzac tentent de rendre le réel par le biais d'une certaine poésie, dont celui de l'exophore mémorielle. [...]
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