Basé sur la disparition de l'être aimé, cet ouvrage pourrait apparaître comme essentiellement dominé par la souffrance du narrateur, ce qui est effectivement le trait principal du premier chapitre.
Cependant, cette vive douleur, en montrant au narrateur l'échec de sa tentative de posséder entièrement Albertine, le met sur une autre voie, celle de l'écriture et du détachement vis-à-vis du superficiel. C'est cette transition, qui s'étale sur les 4 chapitres de la Fugitive, que l'on se propose d'étudier à travers le critère des plaisirs et des douleurs. Mais on ne se contentera pas du narrateur, et on sera par ailleurs amené à analyser ces émotions chez les autres personnages.
En procédant d'une logique chronologique, on sera amené à voir tout d'abord la frustration et la douleur que causent au narrateur les plaisirs des autres personnages, en l'incluant lui-même avant la disparition d'Albertine. Avec la fin du premier chapitre, l'oubli se met en marche en même temps que le narrateur commence à sortir de sa retraite, à éprouver de nouvelles satisfactions et même un plaisir certain avec la publication de son article. Celle-ci n'est pas sans le mettre sur la voie de ce en quoi consiste la vraie source de plaisir pour lui, ce qui apparaît en tous cas on ne peut plus clairement dans le voyage à Venise du chapitre III.
Désormais exempt de l'étouffement que causait sur lui le désir non satisfait, le narrateur opère un retour sur lui et sur sa vie, qui amorce le Temps retrouvé.
[...] Page 58, lorsqu'il apprend la mort d'Albertine, le narrateur fait à nouveau l'expérience de ses mauvais calculs : Ai-je pu vraiment le croire, croire que la mort ne fait que biffer ce qui existe et laisser le reste en état, qu'elle enlève la douleur dans le cœur de celui pour qui l'existence de l'autre n'est plus qu'une cause de douleurs, qu'elle enlève la douleur et n'y met rien à la place ? Enfin, page 30, il apparaît une tendance relativement commune à l'ensemble du chapitre 1 : celle du refus du plaisir. Ce qui apparaît bien ici : J'eus même, en attendant que Saint-Loup pût voir Mme Bontemps, à imaginer Venise et de belles femmes inconnues, quelques moments de calme agréable. Dès que je m'en aperçus, je sentis en moi une terreur panique. Le choix de Venise pour illustrer le calme et le plaisir est par ailleurs révélateur. [...]
[...] Il apparaît cependant dès le début d'Albertine disparue que le narrateur est engagé sur une réflexion distante à ce sujet, comme on peut le voir page 30 : Plus le désir avance, plus la possession véritable s'éloigne. De sorte que si le bonheur ou du moins l'absence de souffrances peut être trouvé, ce n'est pas la satisfaction mais la réduction progressive, l'extinction finale du désir qu'il faut chercher Le narrateur est arrivé à la conclusion suivante : le désir ne mène pas au plaisir. [...]
[...] Dans ce contexte, le thème de la recherche du plaisir, et non plus la course effrénée et indéfini à la satisfaction du désir, guidera le narrateur vers le Temps retrouvé. [...]
[...] Avec cette nouvelle relation vis-à-vis du fantôme d'Albertine, le narrateur entrevoit même, grâce à l'oubli, la possibilité d'une suppression presque complète de la souffrance, une possibilité de bien- être, cet être si redouté, si bienfaisant (p.175). Cette phrase rejoint les réflexions de la page 126 Notre moi est fait de la superposition de nos état successifs et 176 Ce n'est pas parce que les autres sont morts que notre affection pour eux s'affaiblit, c'est parce que nous mourons nous-mêmes Le dialogue avec un fantôme que constitue selon Jean-Yves Tadié Albertine disparue, n'a désormais plus lieu d'être. [...]
[...] L'utilisation du verbe imaginer reprend ce que nous venons de dire sur la puissance potentiellement douloureuse de l'imagination et de la représentation. Cette citation résume bien l'état d'esprit du narrateur en cet instant : ce qui occupe désormais à plein temps son esprit est cette enquête effrénée sur les mœurs d'Albertine. Ceci se trouve notamment dans la correspondance avec Aimé, envoyé spécialement à Balbec pour enquêter sur les rencontres qu'a pu faire Albertine, ou dans les rencontres avec Andrée, qui nie d'abord ces mœurs avant de dire six mois plus tard tout le contraire. [...]
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