En 1634 Corneille a 28 ans, il a déjà 5 comédies à son actif, mais qui n'ont pas une grande réputation. Compte tenu des conventions du genre, il y a dans la Place Royale, des ressorts psychologiques, des intrigues, tout cela est d'ailleurs bien mené. Alidor aime Angélique, mais il aime plus encore une certaine idée qu'il se fait de sa liberté. Cet amour avec Angélique est une tyrannie du cœur entravant son libre-arbitre. Il pousse jusqu'à l'absurde la théorie d'un amour gouvernable, ce qui va illustrer les héros cornéliens à naître.
Dans « A propos d'une représentation de la Place Royale » Raymonde Temkine dit d'Alidor qu'il n'est pas un Don Juan ; « il n'est pas assez maître de lui pour le propos délibéré » il pousse Angélique à une rupture. Il y trouve d'ailleurs un plaisir équivoque, ce qui devient d'ailleurs pervers quand il entend disposer d'elle en faveur d'un ami amoureux. Mais il ne souffrira pas qu'Angélique se fiance à un troisième.
Angélique est un bien dont il dispose, la femme-objet, marchandise ou cadeau, il faut ruser avec elle et scandaleusement la piéger. Nous pouvons trouver cela piquant lorsque Corneille, dans l'Examen de la pièce, en 1660 dit qu' « Alidor est sans doute trop bon ami pour être si mauvais amant ». Conclut-il par la condamnation de son héros ou de lui-même ? « Cela fait une inégalité de mœurs qui est vicieuse ». Cette comédie est loin en tout cas, d'être fleur bleue.
Cette pièce témoigne des affinités entre Corneille et Alidor : Corneille est plus soucieux de liberté que d'engagement. Elle représente aussi des jeunes aux prises avec l'amour, il y a peu de références aux parents : voilà qui était neuf et resta exceptionnel alors. Quels sont les dynamiques principales de l'œuvre ?
[...] Donc il y a une méfiance des personnages. Par l'attention que Corneille porte à cette relation ambiguë entre la réalité et son image, il manifeste qu'il appartient au temps baroque : l'équilibre de la Renaissance est remis en question, l'apparence n'est plus comme elle avait semblé, tout ce qui était certitude paraît incertain. La pertinence des signes garantie jusque-là par la référence à Dieu ou à la Vérité, n'est plus certaine. Les mots et les choses jouent leur propre jeu, tout peut presque servir à qualifier n'importe quoi. [...]
[...] C'est pourquoi le dépit laisse vite place au soulagement lorsqu'Angélique choisit le couvent. On se rappelle le traité des passions de l'âme de Descartes, dont Corneille, amoureux de Mme Duparc s'inspirera : il vécut sans la dame et vécut sans ennui Corneille et la Dialectique du héros Nous nous pour étudier ce thème du roman éponyme de Doubrovsky. Pour lui, les comédies de Corneille ne doivent pas être rangées dans la rubrique réalisme ou sociologie même s'il y a des références aux lieux (galeries, palais royal, place royale), et ça et là des détails de mœurs, de langue et d'histoire. [...]
[...] Or, dans la Place Royale, les parents ne sont pas là, ou on ne leur demande pas leur avis. De même, tous les personnages sont habités par la peur : Phylis craint la solitude, c'est pour cela qu'elle multiplie les amants et ne souhaite pas perdre l'amitié d'Angélique. Lysis et Doraste ont peur de ne pas être aimés, Alidor a peur du temps qui passe, Angélique a peur du quand-dira-t-on, c'est pourquoi elle demande une promesse de mariage. Or les peureux sont tragiques, car ils sont confrontés à quelque chose qui les dépasse. [...]
[...] Dans la vie réelle, le mouvement dialectique serait infini. Mais au théâtre, il y a un règlement final : Mélite se finit par un mariage, idem pour Clitandre, pour La veuve, et La Galerie du palais. Dans La Place Royale, c'est le mariage de deux mal-aimés qui conclue l'œuvre : Cléandre se marie à celle qu'il feignait d'aimer, et Phylis s'y résout par cynisme amoureux (si mes parents le veulent Alidor, pour échapper au temps qui risque de changer Angélique, ne voit qu'une solution : élever sa passion au niveau de l'affectivité pure en lui ôtant toute possibilité de satisfaction réelle Cela se finit par une solution privative : Angélique au cloître, et Alidor célibataire. [...]
[...] Cette possessivité (surtout présente chez les personnages féminins) est analysée par Corneille lui-même dans Tite et Bérénice par la bouche de Tite : Elles regardent tout comme leur propre bien et ne peuvent souffrir qu'il leur échappe rien [ ] elles veulent qu'ailleurs par leur ordre il soupire et qu'un don de leur part marque un reste d'empire On ne sait pas réellement comment expliquer cette obsession du thème du renoncement chez Corneille. Il y a toutefois plusieurs hypothèses. Cela pourrait par exemple être dû à un renoncement auquel Corneille a été contraint pendant sa jeunesse. [...]
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