Nous semblons tous chercher le bonheur. Il est au cœur de notre existence, et, peut-être même davantage, il semble la définir. Pourquoi sommes-nous en vie si ce n'est pour être heureux ?
De fait, associer les termes « forcer » et « bonheur » semble a priori contradictoire. Comment pourrait-on ne pas désirer être heureux ? Mais, cette difficulté posée, immédiatement, de nouvelles interrogations semblent apparaître.
L'économie du bonheur, parce qu'elle prétend mesurer le bonheur, apparaît d'emblée problématique. Elle s'intéresse à un état intérieur, infiniment subjectif, d'autant plus difficile à quantifier qu'il ne semble pas possible d'en donner une définition universelle. On peut tomber d'accord sur la nécessité de combler les besoins vitaux des individus, de leur fournir un accès à l'éducation, à un environnement sain. Mais même dans un tel milieu, nous ne pourrons jamais être certains d'assurer leur bonheur.
[...] Or, je pense qu'il ne faut jamais se reposer sur ses acquis : on peut bénéficier d'un système de santé performant, avoir accès à l'éducation, à un système démocratique stable et malgré tout ne pas se considérer comme heureux. L'économie du bonheur place en fait le bonheur comme un état résultant de l'alignement de données objectives extérieures à nous-mêmes. Pour pallier au défaut de rationalité individuelle, le gouvernement serait légitime d'imposer des mesures pour le bien commun. Mais cette perspective est limitée par son paternalisme : est-il véritablement du rôle de l'état de fournir le bonheur aux individus ? Est-ce seulement possible ? [...]
[...] De même, je pense que l'économie du bonheur, mal utilisée, peut facilement mener à une dérive normative. En effet, par son travail, l'économie du bonheur donne une définition d'un concept sur lequel la philosophie au cours des siècles n'est jamais parvenue à fournir une réponse tranchée, et sous-entend qu'il est essentiel pour l'homme de chercher ce bonheur. En interrogeant les individus sur leurs préférences pour le quantifier, elle émet le postulat qu'il consiste en la satisfaction de ces préférences. Dès lors, elle nous dicte dans une certaine mesure ce qu'est ou ce que devrait être notre bonheur. [...]
[...] Plus encore, il devient une marque de distinction sociale : ne pas être heureux, c'est échouer. Cette injonction de plus en plus pressante au bonheur constitue dans nos sociétés occidentales une limite, en tant qu'on pourrait y voir un encouragement au contentement face à la situation actuelle. Ainsi, l'économie du bonheur s'inscrit dans la lignée directe du courant utilitariste, qui considère qu'il est non seulement possible mais nécessaire de quantifier et comparer les plaisirs pour permettre l'accès au bonheur collectif. [...]
[...] Toutefois, à ce premier sentiment assez positif et optimiste que j'éprouve à l'égard du concept d'économie du bonheur s'ajoutent des réserves davantage liées à mes opinions philosophiques et politiques. Nous avons abordé le thème de l'économie du bonheur dans le cadre de la pensée utilitariste, et je pense que les limites de l'un correspondent à celles de l'autre. En effet, nous avons vu que l'utilitarisme est critiquable en tant qu'il se base sur la thèse morale selon laquelle nous devrions tous avoir pour but le bonheur général, qu'il est dans notre nature humaine de vouloir l'atteindre. [...]
[...] N'est-ce pas une construction fluctuante, contextuelle, contingente ? Plus encore, puis-je accepter qu'on m'offre le bonheur comme un présent, sans fournir d'effort particulier, sans le chercher moi-même ? Et finalement, ce bien précieux entre mes mains, quel intérêt à vivre encore, puisque tout est déjà dit, tout est déjà donné ? L'économie du bonheur, parce qu'elle prétend mesurer le bonheur, apparaît d'emblée problématique. Elle s'intéresse à un état intérieur, infiniment subjectif, d'autant plus difficile à quantifier qu'il ne semble pas possible d'en donner une définition universelle. [...]
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