Permanences de la poésie épique au XXe siècle - Anna Akhmatova, Nazim Hikmet, Pablo Neruda et Aimé Césaire

Résumé du document

On considère souvent l'épopée comme un genre typiquement antique, qui a connu des résurgences, mais qui ne serait définitivement plus d'actualité à notre époque moderne. Pourtant, plusieurs poètes du XXe siècle, venant d'horizons poétiques et géographiques très divers, ont participé à une renaissance du genre épique à travers la poésie.

Nous nous attacherons plus particulièrement à quatre de ces poètes : la poétesse russe Anna Akhmatova et principalement ses oeuvres "Requiem" et "Poème sans héros", le Turc Nazim Hikmet avec le très court "Pourquoi Benerdji s'est-il suicidé ?" et sa fresque des "Paysages humains", le Chilien Pablo Neruda et son oeuvre monumentale du "Chant général", et enfin, l'oeuvre poétique du Martiniquais Aimé Césaire.

On peut s'interroger sur les raisons qui motivent un tel retour d'un genre antique dans la poésie moderne. Peut-être qu'en ces temps troublés par les évènements douloureux du XXe siècle, l'épopée sert à refonder une communauté ébranlée, à réunir le peuple autour d'une conception de l'héroïsme.

Extraits

[...] Nos oeuvres sont habitées de héros épiques, de guerriers, de combattants, dignes héritiers d'Achille ou Hercule. On trouve chez Aimé Césaire de nombreuses évocations du héros, guerriers africains ou libérateurs du peuple Noir, tel Toussaint Louverture: C'est un homme seul qui défie les cris blancs de la mort blanche (TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE) Le poème érige donc le personnage héroïque en héros épique, comme Hikmet dressant le portrait d'Attatürk dans L'épopée de la guerre d'indépendance Il ressemblait à un loup blond / et ses yeux bleus flamboyaient Pablo Neruda aussi évoque les grands noms de l'histoire américaine, guerriers indiens, conquistadores illustres, libérateurs qui deviennent les héros de cette nouvelle épopée. [...]

[...] Borges avait donc raison de prédire l'avènement d'une nouvelle poésie épique qui serait narration, chant et message d'espoir pour le peuple. La nouvelle poésie épique renoue avec ses racines narratives et abandonne le lyrisme traditionnel en poésie pour se faire histoire, récit, narration d'exploits de héros mythiques, et surtout des nouveaux héros populaires et anonymes. Elle se fait aussi Histoire, chronique de son temps et de son époque. Par delà la dimension narrative, l'épopée est aussi chant, et des résurgences de cette dimension apparaissent dans la nouvelle poésie épique, avec la dimension musicale, les rythmes qui font du poème un chant sacré adressé à la nature et au pays. [...]

[...] Le chant à la nature deviendrait donc chant au peuple, qui comme on va le voir, est le destinataire de ces nouvelles épopées. On a donc bien des oeuvres qui renouent avec la dimension de chant de l'épopée antique, d'abord grâce à la présence de la musique, aux rythmes et au caractère de chant sacré de ces poèmes. Cependant, ces épopées de la nature sont avant tout des épopées du peuple, puisque le poème épique est adressé à une communauté qu'il s'agit de ressouder, de refonder sous la bannière de l'héroïsme épique. [...]

[...] Car le peuple est bien le premier destinataire de cette épopée nouvelle qui cherche à fédérer une communauté et s'y inclut, pour ce faire son porte-parole et son guide, tout en ayant conscience des limites de la poésie. Akhmatova, Hikmet, Neruda et Césaire ont donc contribué à fonder cette nouvelle épopée dont le retour était prophétisé par Borges, un nouvel épique adapté au XXè où le héros serait le peuple. [...]

[...] Pourtant, on relève une tendance chez nos quatre poètes, à abandonner ce lyrisme, que la tradition a pourtant érigé en propriété inaliénable de la poésie, pour revenir aux sources narratives de la poésie épique et instaurer une nouvelle poésie moderne. La voix du je ne disparaît pas, elle se fait toujours entendre dans le poème, mais ce n'est plus l'expression des sentiments propres du poète. Le je nouveau redevient la vois de l'aède antique, qui prend la parole pour introduire son histoire. [...]