En littérature, les oeuvres sérieuses sont souvent opposés aux œuvres plus légères, voire comiques. C'est particulièrement net au théâtre où la tragédie est réputée plus noble que la comédie. On peut se demander si face aux sujets graves de la vie, le rôle des écrivains est plutôt d'avertir ou bien de divertir leurs semblables. Les verbes « avertir » et « divertir » sont deux composés antithétiques de la même racine latine vertere, versus (« tourner »), verbe de mouvement. Ils qualifient deux mouvements opposés de la pensée : « avertir » (ad vertere : « tourner vers ») indique plutôt un mouvement convergent, alors que « divertir » (divertire : se séparer de) est plus évidemment divergent. Quand elle prend la forme d'un avertissement, l'écriture s'efforce de condenser l'essentiel, pour en tirer des leçons morales ou existentielles : c'est une entreprise synthétique, a priori sérieuse. Au contraire, les écritures qui constituent un divertissement « diversifient » les centres d'intérêt : leur but est la distraction. Mais n'est-il pas simpliste de croire que, face aux sujets graves, les écrivains n'ont le choix qu'entre deux postures, l'une sourcilleuse, l'autre désinvolte ? Nous confronterons ces deux choix littéraires opposés, avant de constater que de nombreux auteurs concilient ces deux intentions et réussissent à nous avertir tout en nous divertissant.
[...] Nombreuses sont les œuvres qui avertissent les lecteurs tout en les divertissant, et vice versa. On peut faire passer des messages philosophiques à travers une œuvre pleine d'humour : Rabelais en est un exemple frappant. Quelle attitude adopter face à la mort d'un être cher ? L'épisode de la mort de Badebec nous enseigne deux choses très différentes : d'une part, on ne peut échapper à une douleur très vive et à une révolter très humaine. Mais d'autre part, la vie doit reprendre son cours, les naissances sont un sujet de joie encore plus vif Rabelais joue avec les mots, il utilise toutes les ressources de sa fantaisie verbale pour divertir le lecteur, qui ne peut que sourire, mais cela ne rend que plus efficace son message. [...]
[...] L'humour a ici pour fonction d'éveiller l'attention du lecteur, qui resterait plus passif face à un texte classiquement sérieux Avertissement et divertissement du lecteur peuvent donc se combiner : cela semble même conférer une efficacité supplémentaire aux textes qui visent à convaincre ou à persuader. Nous avons d'abord constaté que les écrivains pouvaient estimer que leur mission était d'avertir leurs semblables en les interpellent sur les questions essentielles. Mais il faut bien admettre qu'un grand nombre de lecteurs cherchent avant tout dans la lecture un moyen de divertissement. [...]
[...] Paradoxalement, c'est parfois la lecture des problèmes des autres qui constitue un divertissement pour le lecteur. On constate que de nombreux best-sellers sont des autobiographies assez noires, évoquant au choix la drogue, la dépression, le suicide, le viol, sans véritable valeur littéraire. Bizarrement, nous pouvons penser que les gens semblent trouver du réconfort à la lecture de ce genre de témoignage : ils s'assurent ainsi que le pire est ailleurs, qu'eux-mêmes ne connaissent pas de tels drames, et donc ils peuvent s'en trouver heureux. [...]
[...] A priori, face aux sujets graves tels que la mort, la maladie, la pauvreté, il semble primordial que les écrivains restent sérieux et interpellent leurs semblables sur l'essentiel. Ils peuvent avoir un rôle politique et social, une fonction morale et spirituelle, ou plus largement une mission intellectuelle. Au long des siècles, les auteurs dits engagés ont montré leur rôle politique. Victor Hugo est connu pour ses prises de position contre la peine de mort, avec des ouvrages tels que le Dernier jour d'un condamné ou Claude Gueux. [...]
[...] On peut donc constater que certains auteurs conçoivent leurs œuvres comme des avertissements adressés aux lecteurs : avertissements politiques, moraux ou intellectuels. Mais convient-il d'adopter systématiquement une attitude grave face à tous les problèmes de l'existence ? si la vie et difficile, faut-il insister sur ses aspects les moins plaisants ? Certains écrivains semblent avoir un point de vue tout à fait opposé : leurs œuvres constituent un véritable divertissement. Il est vrai que la lecture est avant tout considérée à notre époque comme une activité de loisir. [...]
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