L'Antiquité grecque a opposé entre eux, bien avant Quintilien déjà, ces deux modes d'expression de l'esprit humain, l'éloquence et la poésie : d'un côté la forme la plus achevée de l'art de persuader, de l'autre le don de s'adresser à l'imagination et aux facultés obscures qui sommeillent en nous. Aristote est l'auteur aussi bien d'une Poétique que d'une Rhétorique. Cependant, il ne s'agit pas, cette fois-ci, d'opposer éloquence et poésie dans leurs résultats, mais bien plutôt par leurs origines psychologiques individuelles et c'est en ce sens que Quintilien écrit : « On naît poète, mais on devient orateur. »
[...] Enfin, Cicéron insiste sur une exigence encore plus impérieuse : l'éloquence ne saurait se ramener à l'utilisation invariable d'un certain nombre de recettes, sous peine de devenir stérile. L'orateur doit avant tout maîtriser son sujet ; or comme le nombre des cas est infini, il doit avoir des lumières de toutes les sciences : histoire, jurisprudence, psychologie, mais avant tout philosophie générale et morale. Ainsi, il pourra manier les âmes, c'est-à- dire tantôt apaiser, tantôt exciter les passions. Somme toute, aux yeux des Anciens, la formation de l'orateur n'est jamais achevée et c'est tout au long de sa vie qu'il devra apprendre et s'exercer pour rester en forme. [...]
[...] Un beau poème est affaire de lente maturation : Valéry mit quelque vingt années à composer le Cimetière marin ; chaque mot poétique est le résultat d'un choix difficile et il est rare qu'un vers soit d'emblée une réussite. La Fontaine lui-même, le poète de la grâce, faisait difficilement des vers faciles : nous savons que la plupart de ses Fables ont été écrites de cinq à six fois. On imagine donc mal un poète ignorant la syntaxe et la stylistique et la valeur propre à chaque effet qu'il veut obtenir. Ainsi s'explique le conseil de Boileau : Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. [...]
[...] On ne saurait donc opposer, aussi radicalement que l'a fait Quintilien, l'inspiration poétique et la technique oratoire. Le poète latin Horace a vu plus justement les choses, lorsqu'il écrit : Pour moi, je ne vois pas à quoi servirait le travail sans une riche veine, ou le génie à l'état brut, tellement ils réclament l'un de l'autre un mutuel secours, et conspirent dans une amicale union (Art Poétique). Et comme Vitruve utilise une formule toute semblable à propos de l'architecture, nous pouvons être assurés qu'il y a là une vérité générale. [...]
[...] A chacun de ces domaines correspondaient des règles et des exercices appropriés que Quintilien expose tout au long de son traité avec un luxe de détails qui nous rebute parfois. Cependant, l'orateur, même formé à la perfection, baisse dès qu'il cesse de s'entraîner. Cet entraînement systématique et continu comprend à la fois des lectures, des exercices de style et de traduction, des transpositions de vers en prose, à certaines époques aussi la rédaction de plaidoyers fictifs, enfin des méditations quotidiennes. [...]
[...] La maîtrise de la composition littéraire ne s'acquiert pas du jour au lendemain ; il faut passer par de nombreux exercices d'analyse et de synthèse ; il faut inlassablement décomposer et recomposer, à la fois pour pénétrer la pensée d'autrui, au cours de l'explication d'un texte, et exprimer la sienne propre, par la dissertation. Tout art doit faire appel à une technique. Le rêve du créateur a besoin, pour s'exprimer, d'une matière souvent rebelle. Le musicien doit connaître les règles de l'harmonie et du son ; le peintre ne peut ignorer la composition des couleurs ; le sculpteur éprouve la résistance de la pierre et doit calculer l'effet de chaque coup de marteau. Les mouvements poétiques français ont tous été précédés d'une réflexion sur le langage. [...]
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