L'homme est un être de désir. L'argent, agent du désir, tend cependant à devenir son propre objet : la richesse est synonyme de bonheur. Peut-on souscrire alors à l'idée commune selon laquelle « la pauvreté est un enfer » ? Cette hypothèse semble confondre deux ordres de valeurs, l'ordre rationnel et l'ordre spirituel. En effet, la pauvreté, état de dénuement économique, constitue bien une limite sociale et matérielle du bonheur, mais elle ne suppose pas nécessairement la privation des jouissances morales, fin d'une existence accomplie. Or, l'enfer, négation du désir et lieu de souffrances illimitées, relève de la sphère spirituelle, et échappe à toute mesure rationnelle. Les oeuvres au programme font apparaître cette distorsion entre pauvreté matérielle et misère morale, et la confusion créée par l'argent entre les deux ordres de valeur. Molière, dans L'Avare, analyse les désordres psychiques suscités par l'argent dans la société du XVIIème siècle où les valeurs spirituelles sont battues en brèche par les progrès du capitalisme. Zola, à la fin du XIXème siècle, analyse dans un roman L'Argent, le jeu des relations sociales et morales au moment où le capitalisme financier triomphe à la Bourse de Paris sous le second Empire. Simmel, philosophe allemand, publie en 1900 un essai, Philosophie de l'argent, qui analyse les mécanismes psychologiques et les mutations sociales engendrées par le pouvoir de l'argent. Nous verrons dans un premier temps comment la pauvreté, notion relative, ne peut être considérée comme un « enfer » pour l'homme. Puis nous montrerons que l'argent, dans la mesure où il s'est approprié tous les domaines de la vie, a acquis un pouvoir universel qui a transformé la pauvreté en misère, donc en enfer. Nous pourrons alors réfléchir sur les mécanismes qui ont fait de l'argent un dieu vengeur auquel les hommes, riches ou pauvres, se sont asservis (...)
[...] Gundermann règne sur sa fortune et sur le monde, mais il est un cadavre ambulant, séparé des réalités existentielles qui font la richesse de la vie. Il ressemble aux ombres du séjour des morts. La baronne Sandorff, Saccard, tout comme les pauvres du roman, sont agis par la frénésie de la spéculation, et ne sont plus que leur propre marionnette. Maxime, qui incarne le blasement dont Simmel fait l'analyse, est reclus dans son confort raffiné, ne jouissant plus que de lui - même, pauvre jusqu'au dénuement de tout désir, image inversée de son frère Victor, que la pauvreté a réduit à l'esclavage à l'égard de ses pulsions. [...]
[...] III L'argent et sa possession sont un enfer. Mais ce n'est pas la pauvreté, notion relative et liée à la hiérarchie des ressources, qui est un enfer, univers moral et représentation inversée du paradis, c'est la tyrannie de l'argent, dieu terrestre matérialisation de la démesure, et ce d'autant plus que l'argent, avec la spéculation, s'est devenu intangible, jusqu'à prendre la qualité de la transcendance. L'argent condamne à l'enfer riches et pauvres en les déshumanisant. A - L'argent est le créateur d'une illusion de liberté quasi divine. [...]
[...] Elle ne relève pas de la sphère morale, qui implique des valeurs spirituelles étrangères à la sphère économique, et donc ne peut se concilier avec l'enfer, représentation d'un au-delà inaccessible à la raison humaine. Cependant, la puissance dynamique de l'argent lui a permis d'incarner la puissance de l'énergie humaine, de lui donner l'illusion de la toute- puissance divine, et d'asservir les pauvres, condamnés à la privation et à la tentation. Mais cette illusion est aussi le tyran des riches, qui, inversant l'ordre des moyens et des fins, voient se retourner contre eux, lorsqu'ils le laissent s'émanciper, le monstre qu'ils ont créé. La pauvreté est-elle un enfer ? [...]
[...] La malédiction frappe les pauvres, aveuglés par les prestiges du jeu, dans les mécanismes desquels ils sont enfermés, et dont ils ne comprennent pas les ressorts. Mazaud lui-même, agent de change averti, est conduit au suicide par la chute de Saccard sur qui il avait tout misé, et que seul il n'a pas voulu trahir. Le jeu de la spéculation ne récompense que ceux qui le traitent comme tel, fiction rationnelle et vide de valeurs autres que l'argent lui-même. Harpagon, l'avare de Molière, si Anselme ne survenait providentiellement pour rendre à la morale ses droits, aurait déshérité son fils, envoyé Elise au couvent, fait pendre Valère et épousé Mariane. [...]
[...] Peut-on souscrire alors à l'idée commune selon laquelle la pauvreté est un enfer ? Cette hypothèse semble confondre deux ordres de valeurs, l'ordre rationnel et l'ordre spirituel. En effet, la pauvreté, état de dénuement économique, constitue bien une limite sociale et matérielle du bonheur, mais elle ne suppose pas nécessairement la privation des jouissances morales, fin d'une existence accomplie. Or, l'enfer, négation du désir et lieu de souffrances illimitées, relève de la sphère spirituelle, et échappe à toute mesure rationnelle. [...]
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