Une scène du septième sceau (1957) de Bergman montre le chevalier Antonius Blok, de retour des croisades, attiré par le mystérieux regard d'une jeune femme accusée d'avoir eu des relations sexuelles avec le Diable et condamnée à périr sur le bûcher ; ses yeux effrayés semblent en proie à des visions, son corps parait se mouvoir malgré elle, de façon spasmodique. Le héros, qui ressent d'abord de la pitié pour elle, ne comprend pas ces ‘égarements du corps et de l'esprit'. La même incompréhension, le même trouble semblent gagner la pensée morale et médicale de l'époque classique face aux « épidémies » de sorcellerie qui sévissent entre la seconde moitié du XVIe et le milieu du XVIIe siècle (les années 1540-1640 marquent la période des grands bûchers en France.) Comment interprète-t-on les phénomènes complexes que sont la sorcellerie, la démonologie et de la possession au XVIIe siècle ?
Dans l'article « De la pathologie mélancolique à la psychologie de l'autosuggestion: l'herméneutique de la sorcellerie et de la possession au XVIIe siècle», Patrick Dandrey, auteur d'une Anthologie de l'humeur noire, de Les Tréteaux de saturne, scènes de la mélancolie à l'époque baroque, et de nombreux articles sur la littérature du XVIIe siècle et ses rapports à la médecine, l'anthropologie et aux sciences morales anciennes, vise à rendre compte, au moyen d'une enquête historique et scientifique, des « oscillations capricieuses » du « balancier de l'histoire » eu égard à la psychogenèse de l'autosuggestion.
Longtemps considérées comme extérieures au sujet (car associées au diable ou à la bile noire), sorcellerie et possession, s'inscrivent peu à peu, à cette époque, dans un long processus d'intériorisation du mal qui ne sera complètement achevé qu'au XXe siècle. La démarche heuristique de P. Dandrey tend à mettre en évidence le moment fondamental de l'histoire des sciences, des mentalités, et des idées que constituent l'« éviction de l'interprétation démonologique au profit d'une psychologie de l'égarement d'imagination » et la substitution des « effets psychopathologiques d'une autosuggestion fantasmée» à la figure du démon.
C'est à travers l'analyse de la pathologie ambiguë de la mélancolie (à la fois obstacle épistémologique et instrument de lutte contre la superstition) que l'auteur de l'article nous dévoile les cheminements de la pensée médicale et synthétise les apports cognitifs livrés par les diverses interprétations des phénomènes ‘surnaturels' qui font de cette « péripétie de l'histoire des idées» l'origine de la psychologie moderne.
[...] Marot, II Toutes les espèces de mélancolie contre nature sont fort chaudes. Musée d'Histoire de la médecine, Paris. [27]Malebranche, La recherche de la vérité. C'est le dernier chapitre De la communication contagieuse des imaginations fortes dans La recherche de la vérité. J'emprunte l'expression à Michel de Certeau dans son ouvrage du même nom. P. [...]
[...] La chimie, la physiologie et l'anatomie démontrent le manque de pertinence des répartitions de qualité entre les humeurs et des humeurs entre les viscères supposées leur servir de réceptacle. Le schéma galénique de la ‘sanguinification' est défait ; la bile et l'atrabile étant des sécrétions indépendantes du sang, le sang ne contient pas de pituite. La découverte est fondamentale: la nature de la mélancolie n'est pas corporelle, le corps n'est que le support, le lieu des manifestations de la mélancolie. [...]
[...] Pierre de Lancre, magistrat du Labourd en 1612, mettait déjà l'accent sur cette théâtralité et sur la valorisation esthétique des métamorphoses diaboliques et de la machinerie illusionniste, le sabbat constituant le summum du spectaculaire. Le simple fait de parler, à propos de la sorcellerie et de la possession, de phénomènes est significatif: le terme signifie étymologiquement faire apparaître mettre devant les yeux (le mot latin phantasma renvoie à la production de l'imagination par laquelle le moi cherche à échapper à l'emprise de la réalité.») A la fin du XIXe siècle, le professer Charcot continuera de mettre en scène les malades hystériques ; la photographie de P.A. [...]
[...] La parole manipulatrice de l'halluciné peut contaminer les esprits auparavant possédés par le diable, la bile noire ou sujets à la simulation volontaire. Ainsi se convainc-t-on mutuellement de l'existence du sabbat au moyen d'histoires qui échauffent l'imagination. Dandrey rappelle l'héritage libertin et sceptique de l'exposé de Malebranche, que bon nombre de médecins, de moralistes et d'analystes de l'erreur ont tenu lors des procès de sorcellerie. Dans sa Lettre contre les sorciers, Cyrano de Bergerac vise à naturaliser le surnaturel en démontant l'imposture de ceux qui abusent l'imagination et fondent leur pouvoir sur la crainte des crédules; la possession est le terrain d'exercice de la rationalité et du discernement. [...]
[...] Dandrey, d'appréhender la pathologie hystérique sans utérus migrateur, la mélancolie sans bile noire, la maladie sans lésion physique, la sorcellerie sans sabbat, et la possession sans démon. C'est ainsi que les prétendues manifestations des maléfices à la possession et à la grande fête noire du sabbat seront renvoyées aux seuls domaines des perturbations mentales, de la simple délinquance ou de l'abus de confiance. L'âge classique ouvre selon lui un mode fantasmatique nouveau d'interprétation, qui sans aller jusqu'à la pensée de la névrose obsessionnelle, fait de la psyché le centre et la source des égarements. [...]
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