Jean Genet publie Les Paravents en 1961, un an avant la fin de la guerre d'Algérie. La pièce est particulièrement complexe et ne se prête pas facilement à la mise en scène du fait de sa longueur : seize tableaux repartis sur 260 pages, et quatre-vingt-seize personnages. De plus, l'organisation de l'espace scénique, voulue par l'auteur, est absolument irréalisable encore aujourd'hui et la puissance polémique de son propos sur des événements encore d'actualité en 1961, n'a sans doute pas manqué à faire reculer plus d'un metteur en scène. Autant dire que pour mettre en scène la pièce telle qu'il l'aurait souhaité, c'est-à-dire dans un cimetière, il faudrait réinventer non seulement le théâtre et son architecture, mais aussi la société dans son ensemble. La pièce n'est donc mise en scène qu'en 1966 par Roger Blin au Théâtre de l'Odéon. Genet collabore activement avec le metteur en scène pour la réalisation de cette pièce, et au moment de la réédition des Paravents, il rajoutera des commentaires à partir de cette expérience avec l'homme de théâtre. Dans les pièces de théâtres précédentes : Haute surveillance, Les Bonnes, Le Balcon et dans une moindre mesure Les Nègres, Genet n'avait pas spécialement manifesté d'intérêt pour le travail des metteurs en scènes, ce qui rend d'autant plus remarquable son engouement pour la mise en scène des Paravents. C'est, d'ailleurs, la dernière pièce de théâtre qu'il ait écrite. Genet a commencé par l'écriture de romans plus ou moins autobiographiques, et ses premières pièces de théâtres sont plus proches de son travail romanesque que les trois dernières : Le Balcon, Les Nègres et Les Paravents où la dimension politique et collective, bien qu'elle soit déjà présente dans les textes précédents, se fait plus insistante et plus cruciale dans son écriture dramaturgique. Ce qui était déjà en germe dans Haute surveillance et dans Les Bonnes : la polyphonie des discours, semble trouver son aboutissement dans les Paravents, pièce où Genet questionne les rapports dialectiques du pouvoir et de la représentation, de l'individuel et du collectif. Notamment dans le onzième tableau, l'articulation de trois espaces principaux de représentation, au sein desquels trois ou quatre couples évoluent ou bien stagnent, interroge les notions d'espace et de corps, questionne le statut du personnage et le manichéisme occidental. Quels rapports entretiennent le théâtral et le politique, l'esthétique et l'éthique dans les Paravents de Jean Genet ? Et comment la dramaturgie genetienne est-elle une dramaturgie subversive dans sa capacité à articuler dialectiquement des notions apparemment contradictoires ?
[...] Cependant, un autre personnage, dont on ignore l'origine ethnique, semble être encore plus représentatif de cette quadrature que les Arabes. En effet, le personnage du condamné à mort ne se manifeste plus qu'à travers son chant qui bien que sans odeur évoque le parfum imaginaire d'un iris de satin violet et qui comme un voleur forçant un coffre, ouvre le ventre de sa mère pour en dérober les boyaux ou les joyaux L'identité arabe, telle qu'elle est représentée dans la pièce, au-delà d'une identité ethnique est, en réalité, une identité flottante, une identité de révolte, une recherche de transgression des statuts fixés par la spatialisation politique des corps. [...]
[...] Les deux espaces intérieurs représentent deux types différents de relations des corps aux espaces. En effet, M. Blankensee, à travers la perpétuelle évocation de sa roseraie, semble se figurer l'espace comme une extension de son propre corps : Ne crains rien, chérie. Toute la roseraie est piégée. Moi-même, j'ai tendu des pièges à loups dans toutes les allées. (Il grince des dents.) Comme tes dents mordillent une rose, les mâchoires d'acier de mes pièges songe qu'il y en a une cinquantaine, dans les massifs et les allées tu ne sens pas comme les mâchoires d'acier n'en peuvent plus d'attendre ? [...]
[...] La maison de Mme et M. Blankensee est au premier étage et au second plan. Et au deuxième étage, qui se trouve aussi au troisième plan, un espace extérieur, que parcourent Lieutenant, Sergent et légionnaires, est représenté. Ces espaces ne s'interpénètrent pas et les personnages ont chacun leur espace propre. Selon qu'ils appartiennent à l'un de ces trois espaces certains corps sont mobiles et d'autres immobiles. Saïd, Leïla et le Gardien, par exemple, ne sortent pas de scène, contrairement aux autres personnages. [...]
[...] De plus, certains détails du tableau concourent à mettre à distance la référence historique et même, dans une certaine mesure, à la falsifier. Par exemple, la maréchale Joffre dont parlent M. et Mme Blankensee n'existe pas, ce n'est pas une figure de la guerre d'Algérie, en revanche le maréchal Joffre est un personnage important de la Première Guerre Mondiale. De manière plus évidente, la description des fusils ne correspond pas à l'époque de la guerre d'Algérie, puisqu'ils portent les insignes de la royauté : suprême joyau sa baïonnette fleuron de la couronne, lys de l'oriflamme et renverrait plutôt à l'époque de la colonisation de l'Algérie des années 1829-1830 et au règne de Charles X. [...]
[...] Saïd est allongé au pied du paravent de droite. Leïla accroupie à gauche. Au milieu de la scène, une chaise où le Gardien, endormi, ronfle. »(p.121). Le premier plan et le troisième plan semblent plongés dans la pénombre, tandis que le deuxième plan est éclairé lors de la scène entre M. et Mme Blankensee, puis plongé dans l'obscurité une fois que le centre d'intérêt s'est déplacé sur les autres personnages : La lumière s'allume. C'est la chambre des Blankensee. (p.130), Obscurité à ce paravent (p.133). [...]
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