Il est généralement admis que le panthéisme est subversif, lorsqu'il émerge dans une civilisation monothéiste, notamment chrétienne : affirmer l'immanence de Dieu, dont la lumière se propagerait d'êtres en êtres, comme une onde, c'est à priori le priver de sa transcendance, d'une césure nette et infranchissable avec les basses créatures. A travers la multiplicité des êtres, l'unité divine se manifesterait. Faudrait-il donc voir dans un caillou ou un méchant homme des signes d'une présence plus haute ? Scandaleux, pour un docteur chrétien. Car l'idée de libre arbitre est exclue d'un panthéisme spinosiste ou stoïcien : chaque chose fait partie d'un projet divin, s'inscrivant dans une prédestination, ou fatalité, qui le lie à son sort dès sa naissance. Les limites entre l'âme et l'esprit, Dieu et la nature, apparaissent alors comme perméables, et brouillent les dogmes religieux, dont le but est la conservation de la transcendance. Or, sans libre arbitre, la responsabilité humaine est amoindrie, et la Chute originelle ne peut plus être justifiée sans recourir à une erreur céleste. Autre difficulté : si toutes les choses participent au divin, faut-il en conclure qu'elles sont divines, c'est-à-dire faisant partie d'un panthéon dont il faudrait établir la généalogie et la hiérarchie ? Le nom du monstre qui se profile à l'horizon est le polythéisme et, à travers lui, le paganisme. Or, lorsqu'il choisit d'abord d'appeler « Le mythe païen retrouvé » sa section « Seizième siècle – Renaissance – Paganisme », de son recueil poétique La Légende des siècles, Victor Hugo annonce la couleur : au monothéisme chrétien succèderait un polythéisme païen, un retour vers le passé, que son idée de progrès ne laissait d'abord pas envisager, si l'on associe, comme le ferait l'opinion commune, le progrès à l'avenir. De même, « A Albert Dürer » (Les Contemplations) convoque la mythologie romaine et grecque pour affirmer la vitalité de la nature, à l'instar de son « Satyre », que « La Vache » (Les Voix intérieures) confirme. Très vite pourtant, Hugo introduit des décalages, qui ne permettent plus d'assimiler son panthéisme à une tentative pour déboussoler le christianisme. Malgré une immanence toujours présente, ni « Ce que dit la bouche d'ombre » (Les Contemplations) ni « La Vache » n'admettent d'identification stricte de la nature à Dieu, ou de l'homme à l'Etre : ils ne se confondent pas. Dès lors, la responsabilité humaine reste en cause et Hugo propose, à travers une graduation des fautes, symbolisée par l'Echelle de Jacob, une possibilité de rédemption
[...] Qu'en est-il pour nous ? L'explication donnée par les mythes n'est jamais très convaincante. Dans ses Histoires comme ça, Kipling offre de nombreuses histoires qui expliquent la formation d'un phénomène. Ainsi des taches du jaguar, de l'alphabet. Nous, lecteurs, presque contemporains de Kipling, n'y croyons pas beaucoup. Peu importe. De ces mythes créés par le conteur, il reste cependant une marque, comme une empreinte qui s'insinue dans notre esprit et qui nous aura montré que le jaguar existe, qui aura mis le doigt sur ces taches que nous ne verrons plus jamais de la même façon, parce que nous les verrons enfin. [...]
[...] C'est en voyant Eurydice qu'Orphée a été condamné ; les victimes de la Gorgone étaient pétrifiées, dès qu'elles la regardaient. Hugo en a parfaitement conscience : L'homme reste devant cette pierre ébloui Le Satyre Puisque tu ne t'es pas en route évanoui, Causons. Ce que dit la bouche d'ombre Comment regarder le soleil, sans devenir aveugle ? La pureté est toujours aveuglante, et des filtres sont chaque fois utilisés pour l'appréhender. Ainsi ne boit-on jamais de l'alcool à mais distillé, ou ne regarde-t- on jamais le soleil de plein fouet, sans lunettes. [...]
[...] Y a-t-il un danger ? La société grecque les méprisait. Socrate fut condamné, après avoir été accusé de réduire (notamment) la lune à une boule de terre sans âme. Bien qu'il adhérât, dans sa jeunesse, à leurs thèses, il rejeta rapidement l'enseignement des philosophes de la nature, qu'il jugeait confus : je croyais avoir découvert en Anaxagore un maître capable de m'enseigner la cause de tout ce qui est [ ] il y a deux choses bien distinctes : ce qui, réellement, est cause ; et ce, sans quoi la cause ne pourrait jamais être cause. [...]
[...] A mesure que sa mue se fait, les Dieux de l'Olympe perdent de leur prestance, et c'est encore à partir du double mouvement d'élévation-chute, qui donne l'exemple et montre la voie aux hommes fébriles, que la cosmogonie se réorganise au profit d'un Grand tout, Il est beau ! murmura Vénus épouvantée Les dieux ne riaient plus ; tous ces victorieux, Tous ces rois, commençaient à prendre au sérieux Cette espèce d'esprit qui sortait d'une bête. Un autre être semblait sous sa face apparaître ; Duquel émerge, dans un rythme ascensionnel, l'âme et sa lumière bienveillante : Place au rayonnement de l'âme universelle ! [ ] Amour ! Tout s'entendra, tout étant l'harmonie ! [ ] Place à Tout ! Je suis Pan ; Jupiter ! à genoux. [...]
[...] Chaque étoile au front d'or qui brille, laisse pendre Sa chevelure d'ombre en ce puits effrayant. Âme immortelle, vois, et frémis en voyant : Voilà le précipice exécrable où tu sombres. Hugo ne délaisse ainsi pas l'idée du libre arbitre, qu'il célèbre, pour faire de la fatalité, cette loi du monstre captif Ce que dit la bouche d'ombre une tumeur dont il faut se défaire. Il fait ainsi de l'intuition, à l'instar des stoïciens, et de leur aperception compréhensive, de la compréhension par le cœur, un moyen de connaissance : l'homme tâte l'infini jusqu'à ce qu'il y sente (Idem). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture