Ce passage intervient après la rencontre du polyglotte Panurge, et fait partie de l'entreprise de Pantagruel à essayer son savoir (suite à la lettre de recommandation de son père chap. VIII « et veulx que, de brief, tu essaye combien tu as proffité : ce que tu ne pourras mieulx faire, que tenant conclusions en tout sçavoir, publicquement, envers et contre tous, et hantant les gens lettrez … ») : entreprise qu'il va relever haut la main. Après que son personnage ait renversé, par divers faits oraux, les théologiens sorboniques, après qu'il ait épaté la fine fleur des représentants du savoir et du pouvoir (« il les feist tous quinaulx […] n'estoient que veaulx.»), Rabelais se doit d'ajouter un point d'orgue, une épreuve surhumaine, qui devra asseoir encore une fois (car on peut comparer cette prouesse verbale à son équivalent physique, le passage de la cloche de Saint-Aignan) la légende de maître Pantagruel : il s'agit du procès pendant entre les messieurs Humevesne et Baisecul ; notre extrait se situe juste au point de transition de ces deux passages. Sa problématique est une revalorisation de l'oral par rapport à l'écrit, la déconfiture des juristes, et une remise en cause de la façon « diabolique » dont procède la Justice. Nous verrons comment l'auteur fait ici le procès du système judiciaire de son époque, mais toujours avec ce souci du double-jeu et du paradoxe, c'est-à-dire en basant ses théories sur l'introduction d'une pratique généralement critiquée par les humanistes, celle de la disputatio médiévale.
Notre extrait présente, d'une part, la déflagration du phénomène Pantagruélique sur le monde, l'omniscience de son nom. D'autre part, il présente le défi qui va être proposé au géant, un fait d'actualité quasi international, cet inextricable procès, et les délibérations des gros sages ; s'ensuit la nomination de Pantagruel en tant que juge de la dernière chance. Dans la dernière partie de notre extrait, Pantagruel donne ses conditions et réforme en quelques sentences la façon dont devrait procéder la Justice.
[...] Rabelais évoque Démosthène, compare le plaisir de son héros à celui de l'infatigable orateur grec, qui très faible et illettré dans ses jeunes années, devenu à force de travail un des plus grands orateurs attiques. Cette référence ne manque pas d'emphase, renforcée par la périphrase prince des orateurs grecz ; comme tout le paragraphe d'ailleurs, qui rappelle le style de l' arrivée du roi : précédé par une rumeur, passage ponctué de la rengaine c'est luy doigts tendus Ce premier mouvement de l'extrait est un bruit de rue, qui va bientôt monter à des sphères plus hautes. [...]
[...] L'auteur donne ici un indice sur la suite du récit : cette phrase annonce un changement dans l'air du temps, une nouvelle révolution pantagruéline qui interviendra dans la dernière partie de l'extrait. On notera que c'est grâce à ses disputations, à son étalage public, que Pantagruel est reconnu des grands. Pantagruel est donc vu comme un ange salvateur, car jamais homme n'en viendra à bout, si cestuy là n'en vient. ; et en ce qui concerne la Justice, ce verdict clôt l'affaire. [...]
[...] Rabelais ne tarit pas d'éloges à l'égard de ce personnage : il s'agit effectivement d'un salut à Briand Vallée, seigneur du Douhet, conseiller au parlement de Bordeaux ; ami des lettres, des humanistes, et de Rabelais, qui décidément le porte en haute estime : on lit, dans le Quart livre, chapitre XXXVII : [ ] à Xaintes en un procession générale, prœsent le tant bon, tant vertueux, tant docte et équitable prœsident Briend Valée, seigneur du Douhet. (Rabelais l'aurait rencontré avant 1527, alors qu'il était président au présidial de Saintes. Il mourût le 6 août 1544). [...]
[...] On partait d'une vieille accroupie ; l'affaire remonte jusqu'au roi . Rabelais donne de plus une courte liste de juristes réputés, pour ancrer son procès dans le réel : cette affaire est bien une caricature de la justice contemporaine. N'y avoient sceu mordre, ny entendre le cas au net (l.22) : signifie qu'il n'est aucun point d'accroche, aucune faille dans l'embrouillamini de ce procès. Dont ilz estoient si despitz qu'ilz se conchioient de honte villainement (l.24) : conchier signifie souiller d'excréments, et dans le dictionnaire Huguet, le conchiement est allié aux notions d'outrage et de mépris. [...]
[...] En une heure seulement, l'offre est faite à Pantagruel d'en devenir l'arbitre : tel que luy sembleroit en vraye science légale (l.17) : on se repose donc sur sa propre définition de la législation, cette phrase est comme un feu vert qui va permettre au héros (et à l'auteur) d'introduire son idée de la justice. On surprend une rapidité excessive dans la structure de ce paragraphe, où les événements s'enchaînent à toute allure, chaque proposition commençant par et : la précipitation des juristes à délivrer au géant les clefs symboliques du procès, les sacs et pantarques (l.18), lourd fardeau équivalent au poids de quatre gros asnes couillards (une lecture plus verticale laissant à penser que ces paires d'ânes sont aussi sûrement les juristes eux-mêmes) est relativement risible ; impression renforcée par l'emphase de la formule luy livrèrent [ ] entre ses mains qui fait des juristes une belle bande de gras bourgeois de Calais faussement affligés. [...]
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