Dissertation roman biographique baroque
En amont de Rousseau, s'écrire au Grand siècle dénote – et ce en dépit de l'émergence des Mémoires desquelles découle le genre autobiographique- avec la tentative toute classique de codification presque automatique des domaines artistique et littéraire. C'est parce que « l'autofiction » (Dubrovsky) dérange les classifications et renvoie à un repliement narcissique sur l'intime coupant la littérature de tout travail authentique de reconstitution de la Nature, que l'écriture de soi fait à cette époque affront. C'est pourtant un roman du « je » -plus largement considéré sous le terme générique de « littérature personnelle »- auquel s'ose Tristan L'Hermite dans son Page disgracié (1643), récit rétrospectif des premières années de mouvance d'un page placé sous la protection de maîtres et devenu à la fois homme de lettres et je narrant. Fort de son approche diversifiée de la littérature (pensons au lyrisme poétique de la Mer ou au succès marquant de la Mariamne concurrençant de près le Cid), Tristan nous offre ce roman composite dont le Prélude sert d'avertissement autant que d'excusatio propter infirmitatem: si l'auteur fait preuve d'humilité, assurant n'écrire que son « histoire déplorable », c'est que le prélude (du latin praeludere, ce qui précède le récit) atteste d'une volonté affirmée de définir la reconstitution littéraire de son je comme une « réflexion de miroir », épurée de toute ornementation qui éloignerait la diégèse de son oeuvre des faits passés réels. La symbolique de la réflexion (la métaphore du miroir étant récurrente au XVIIe siècle, pensons entre autres à sur les fontaines et rivières de Drelincourt) -autant reflet qu'action de l'esprit qui réfléchit- révèle l'inclination apparemment limpide qui tend vers ce souci d'une vérité respectée et révélée par la littérature. Mais quelle est justement la place de la vérité dans le roman de Tristan, oeuvre baroque perpétuellement ambivalente dans son rapport au je, entre dévoilements, éblouissements et dissimulations?
[...] En effet, même si l'image reflétée dans le miroir du passé est toujours fugace (pensons à ce que nous en dit la vie champêtre de Le Moyne), il s'agit de la fixer par le support romanesque afin d'assurer la pérennité du je. L'«histoire déplorable» est vite dépassée par Tristan qui, comme Marie Bashkirtseff alors atteinte de tuberculose désirait «rester sur terre, par quelque moyen que ce soit». Cette «promesse d'immortalité» dont se raille Malraux dans ses Antimémoires par le truchement de la littérature pallie aux disgrâces du page à qui il ne reste plus qu'à écrire son histoire pour s'inscrire dans l'Histoire en faisant vanité des grands effets de mémoire (p. [...]
[...] Ainsi dresse-t-il un tableau des mœurs et des personnages qui formèrent le cadre de ses pérégrinations. Les comparses ou opposants de son enfance -bien que leur identité soit parfois délivrée à retardement comme l'Irlandais- reprennent souffle sous sa plume qu'indique d'ores et déjà le sous-titre de l'ouvrage Le Page disgracié Où l'on voit des vifs caractères d'hommes de tous tempéraments et de toutes professions C'est cette diversité et cette multitude que la volonté réaliste cherche habilement à rassembler, se focalisant parfois avec davantage de précision sur certains personnages plus marquants comme Claude Dupont, le précepteur qui l'introduisit à la cour de Gaston d'Orléans ou ayant pour volonté d'exercer une satire sociale à l'image de celle des médecins ( les plus excellents médecins durent appelés à sa maladie; et comme ceux de cette profession ne s'accordent jamais guères en leurs jugements, ils donnèrent de différents avis sur la manière de le traiter durant son mal, et ne cessèrent pas leur dispute après qu'il eût cessé de vivre dépeints avec un regard critique. [...]
[...] Tristan romancier s'éloigne de la vérité révélée par la réflexion de miroir en imitant le réel. La mimèsis fait de ce dernier un potentiel manipulateur du récit selon la vision qu'en a Aristote dans sa Poétique, en ouvrant une «scène» au travers d'une fiction plus vraisemblable que vraie. En effet, l'astuce réside en ce que le vrai du reflet n'est pas tant ce qui est effectivement advenu (l'historique, le contingent) que ce qui correspond à une vérité partageable par tous les hommes (qui pourraient alors se reconnaître dans ce je). [...]
[...] La mise en valeur de sa propre production littéraire trahit l'enjeu recherché par le je homme de lettres dont l'ambition est prégnante et annoncée dans la diégèse en ce que la poétique de l'œuvre révèle que le je de disgrâce ne s'est véritablement élevé que dans sa réussite littéraire. L'art est lui aussi à montrer et à faire refléter à travers la pureté d'une langue maîtrisée et un jeu de langage au service des dissimulations, de ce que le je narrant maître de son œuvre ne veut pas raconter du je narré Il ne m'arriva rien au service de ce prince, qui soit digne d'être écrit» (XLI). En cela, l'énonciation fait partie intégrante de l'illusion dans cette multiplicité des langages. [...]
[...] FISCHER-BARRE Marion Dissertation Le page disgracié En amont de Rousseau, s'écrire au Grand siècle dénote et ce en dépit de l'émergence des Mémoires desquelles découle le genre autobiographique- avec la tentative toute classique de codification presque automatique des domaines artistique et littéraire. C'est parce que l'autofiction (Dubrovsky) dérange les classifications et renvoie à un repliement narcissique sur l'intime coupant la littérature de tout travail authentique de reconstitution de la Nature, que l'écriture de soi fait à cette époque affront. C'est pourtant un roman du je -plus largement considéré sous le terme générique de littérature personnelle auquel s'ose Tristan L'Hermite dans son Page disgracié (1643), récit rétrospectif des premières années de mouvance d'un page placé sous la protection de maîtres et devenu à la fois homme de lettre et je narrant. [...]
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