« Comme c'est le caractère des grands esprits de dire beaucoup de choses en peu de paroles, le propre des petits esprits en revanche est de parler beaucoup et de ne dire rien » écrit La Rochefoucauld dans ses Maximes (maxime 146). Son contemporain La Fontaine partage son opinion puisque dans le discours qu'il lui adresse dans ses Fables il écrit « Mais les ouvrages les plus courts / Sont toujours les meilleurs », jugement qui s'accorde bien avec l'esthétique classique de la mesure du XVIIe siècle : il faut bannir tout débordement, la forme la plus concise est la plus juste et la plus brillante.
On ne peut nier l'éclat de certaines formes brèves, qu'il s'agisse des Maximes de La Rochefoucauld ou des Fables de la Fontaine, mais cette affirmation péremptoire (comme le montre l'adverbe « toujours ») ne risque-t-elle pas d'exclure toute une partie de la littérature ? On pense bien sûr au roman qui ne peut pas être très bref. Il s'agit donc de déterminer la portée de l'affirmation de la Fontaine.
[...] Ainsi, certaines maximes de La Rochefoucauld peuvent sembler sans rapport les unes avec les autres, on peut croire que le recueil n'a pas d'ordre, cependant les Maximes débutent et s'achèvent avec l'évocation de l'amour-propre : on comprend que tous les défauts évoqués dans l'ouvrage ne sont que des dérivés de l'amour-propre. Ainsi, on pourrait légèrement rectifier la citation de la Fontaine, si une forme brève peut être appréciable, l'ouvrage pour être riche doit nécessairement avoir une certaine longueur. Conclusion Les ouvrages les plus courts/ Sont toujours les meilleurs : oui, sans doute la forme brève est celle qui convient le mieux à un moraliste comme la Rochefoucauld ou la Fontaine, mais cela ne veut pas dire que la qualité est nécessairement liée à la brièveté. [...]
[...] Le but n'est pas le même et la forme n'est pas la même. Ainsi, on peut très bien inscrire l'ouvrage de Proust, Le côté de Guermantes, dans la lignée des Maximes de La Rochefoucauld. Il y a dans les deux ouvrages une peinture et une critique des codes de la société, on pense chez Proust aux mots d'Oriane ou au fameux épisode des souliers rouges de la duchesse, lorsque le duc ne s'occupe que des souliers de sa femme alors que Swann leur annonce qu'il est condamné. [...]
[...] À propos du sonnet, on peut reprendre l'étude d'Henri Weber dans La création poétique au XVIe siècle (lui-même reprenant Aragon) lorsqu'il montre à propos du fameux sonnet Heureux qui comme Ulysse (Du Bellay, Les Regrets) l'admirable alliance de la forme et du fond : le schéma des rimes dans les deux tercets laisse en suspens le troisième vers du premier tercet Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine pour que l'attente soit complétée à la fin du deuxième tercet Et plus que l'air marin, la douceur angevine Le poème ne décrit pas la nostalgie, il la suggère par ce jeu de rimes, par cette sonorité chantante suspendue [ine] qui exprime le regret et fait contraste avec les sonorités plus sourdes (aïeux/audacieux, latin/Palatin). [Transition] Il semble donc bien vrai que dans les ouvrages courts, la concision est brillante. [...]
[...] Toute la nouvelle tend vers cette réplique finale, toute pleine d'ironie. La nouvelle a son unité en elle-même. Le roman, au contraire, obéit à une esthétique de la continuité. Flaubert déclare dans sa Correspondance qu' une bonne phrase doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmé, aussi sonore mais cela ne signifie pas que le roman est un agglomérat de bonnes formules, au contraire. Flaubert, toujours dans sa Correspondance emploie la métaphore du mur : il s'agit d'effacer la marque du ciment entre les briques pour que le mur paraisse parfaitement uni. [...]
[...] Sont-ce les ouvrages les meilleurs ? Il semble que dès qu'il s'agit de construire une intrigue, une certaine longueur est nécessaire. Comment une tragédie peut-elle être réussie si elle est très brève ? On peut penser à Andromaque de Racine : pour que la folie d'Oreste soit véritablement tragique, pour qu'elle puisse toucher le spectateur et susciter terreur et pitié, il faut qu'il y ait eu cinq actes où le spectateur ait vu Oreste déchiré entre son amour et son devoir, appelé puis rejeté par Hermione, il faut du temps pour que le spectateur frémisse en entendant cette exclamation douloureuse Mon malheur passe mon espérance ! [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture