Dans ce roman, la recherche de la voix passe par une quête du langage que Marguerite Duras conduit au travers de trois personnages : celui de la mendiante d'abord, ceux d'Anne-Marie Stretter et du vice-consul ensuite. A partir de là, et à travers le son, la voix se dessine comme lieu de l'origine, comme création d'espaces originaires et comme géographie poétique. Mais si la voix est à l'origine de l'écriture, celle-ci est un effort pour conquérir le silence, la voix poétique – au même titre que le cri – de l'écriture qui refuse le discours
[...] Il se calque sur le modèle de son père qui revenait pour se taire auprès de sa mère (p.98). L'expression Il se tait est employée trois fois à la page 123 face à Anne-Marie Stretter lorsqu'il refuse d'expliquer Lahore, ce blanc langagier. Toute une thématique de l'absence se construit autour de ce personnage. Il est défini par le manque : L'absence de mère (p.123), il n'a pas de regard (p.132), sa voix et son rire sont blancs, il est vierge. [...]
[...] Voies et voix de l'origine (le chant, la musique, l'air) Marcelle Marini distingue trois formes d'expression liées aux trois personnages que sont la mendiante, Anne-Marie Stretter et le vice-consul : [ ] trois lignes mélodiques étrangères : les chants du dehors, celui de la mendiante derrière les grilles, celui du vice-consul sifflotant dans les jardins, ou la musique comme exclue au-dedans, celle d'Anne-Marie Stretter solitaire au piano dans la résidence soudain déserte1. Le chant de la mendiante, appelé indifféremment chant de Battambang ou de Savannkhet, est composé de notes et de mots. Ce chant est une extension rythmée, une amplification musicale de Battambang. [...]
[...] Par petites touches, c'est toute la ville qui se dessine pour former un tableau plus auditif que visuel. De la même manière, lors de la réception à l'ambassade de France, les bruits de couverts, de conversation, de musique font apparaître le décor de la réception. En contrepoint des conversations principales, la rumeur de la réception se fait entendre, sorte de chœur des Blancs de Calcutta, ensemble musical à plusieurs voix superposées, amalgamées, alternées : On dit : M. Stretter est libéral pour avoir permis une chose pareille, qu'elle l'invite ce soir (p.98), On dit : Comme il reste maigre, le vice-consul, tel un jeune homme, mais c'est le visage qui (p.98), On demande : Et de Lahore parle-t-il ? [...]
[...] Le vice-consul est au-delà du discours, il crie des mots sans suite de la même manière qu'il tire à Lahore des balles au hasard, pour déconstruire le langage, pour détruire les lépreux. Le vice-consul, la mendiante et Anne-Marie Stretter (en sourdine) crient mais n'écrivent pas, contrairement aux hommes de Calcutta qui écrivent pour exprimer leur douleur par le biais d'un langage construit et organisé. Madeleine Borgomano analyse la place de cette écriture et son rapport fondamental au cri : L'écriture est cri : elle renaît sans cesse des cendres de son insuccès et de son refus d'elle-même Le cri s'élance vertigineusement dans les territoires durassiens, il tranche sur le fond blanc du silence, il fracture de son timbre déchirant la trame discursive, il porte l'écho d'une autre voix, pour composer un espace poétique. [...]
[...] Intimement lié à l'enfance et à la mère qui le jouait au piano Indiana's Song fait affleurer les lieux originaires du vice-consul (Neuilly). La quête du vice-consul est une quête de la mère, et Indiana's Song semble être le fil conducteur de ce parcours qui va de Neuilly aux Indes : C'était tout ce qu'il savait des Indes, avant, Indiana's Song (p.147). Ainsi, le chant, la musique, l'air sont trois variations sur le lieu maternel, trois voix qui sont des voies vers l'origine, trois formes d'expression différentes du langage. [...]
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