L'œuvre du romancier doit-elle fatalement desservir un but ?

Thèmes abordés

But d'une oeuvre, Romain Gary, Alain Robbe-Grillet, roman engagé, genre romanesque, Barbey d'Aurevilly, placere et docere, Diderot, engagement social, engagement politique

Résumé du document

«Le seul engagement possible pour l'écrivain c'est la littérature», a écrit Alain Robbe-Grillet dans son essai, Pour un nouveau roman, où il met en avant l'évolution entre le roman traditionnel que l'on tient de Sartre, celui de Flaubert et le roman contemporain, ou Nouveau Roman, qui remet au goût du jour les émotions primaires. De ce mouvement, on compte Romain Gary qui dans son roman, Pour Sganarelle, publié en 1965 écrit que : «Tout art appliqué, ou […] “engagé” est un avortement lorsqu'il veut d'abord servir autre chose que lui-même». Gary met l'accent sur le fait que tout créateur d'art, l'écrivain ici, ne doit pas oublier, au profit d'une cause, qu'il est en premier lieu un romancier qui met son art en avant. L'image de l'avortement est forte, illustrant la volonté de l'écrivain de s'amputer lui-même de son art au profit d'un art déguisé qu'est le roman «engagé».

Extraits

[...] La raison n'est pour ainsi dire que seulement le message que souhaite véhiculer le romancier et bien évidemment de la cause qu'il défend pour échapper à sa temporalité. C'est notamment le cas lorsque cela traite de la condition humaine comme nous pouvons le constater avec l'immense œuvre qu'est celle de Balzac à travers La Comédie humaine. Un total de 91 romans avec plus de deux mille personnages formant un tableau des mœurs sous la Restauration et de la monarchie de Juillet. [...]

[...] Faut-il encore réussir à émouvoir suffisamment le lecteur pour que le but premier du romancier soit perçu. Diderot y parvient avec Suzanne qu'il dépeint sous un discours essentiellement pathétique. Les scènes de persécutions où Suzanne est jetée dans un cachot, les passages où elle exprime son désespoir avec sa douleur et plus particulièrement ses pleures : « Mes larmes et le sang qui coulait de mon nez se mêlaient ensemble, descendaient le long de mes bras, et j'en étais toute couverte », sont peintes avec tellement de précisions qu'on est touché par ce qu'elle vit. [...]

[...] Une œuvre romanesque trop ancrée dans son temps met à mal la transmission de l'œuvre et de ses revendications qui ne sont plus d'actualité. Sauf certaines œuvres comme celle d'Aragon, avec les Cloches de Bâle. C'est là où l'utilisation du mot « avortement » de Gary prend tout son sens. En effet, le choix volontaire du romancier de mener son œuvre à l'engagement peut s'y apparenter. Il s'agit alors de bloquer le récit à son siècle, sans lui donner la chance d'établir son chemin dans les annales des penseurs et des écrivains des siècles à venir, ni de prétendre au titre de chef-d'œuvre du genre. [...]

[...] L'œuvre du romancier doit-elle fatalement desservir un but ? Principales œuvres citées : Tulipe, de Romain Gary, La Religieuse, de Diderot, L'Ensorcelée, de Barbey d'Aurevilly. Sujet : « Tout art appliqué, ou [ . ] "engagé" est un avortement lorsqu'il veut d'abord servir autre chose que lui-même ». Romain Gary, Pour Sganarelle Introduction « Le seul engagement possible pour l'écrivain c'est la littérature », a écrit Alain Robbe-Grillet dans son essai, Pour un nouveau roman, où il met en avant l'évolution entre le roman traditionnel que l'on tient de Sartre, celui de Flaubert et le roman contemporain, ou Nouveau Roman, qui remet au goût du jour les émotions primaires. [...]

[...] Le roman dépeignait des fictions narratives ou le merveilleux était principalement au cœur, bien loin des questions politiques et morales. Dans un roman comme L'Astrée d'Honoré d'Urfé, considéré aujourd'hui comme un bijou du genre pastoral qui met en scène les passions amoureuses des bergers, le lecteur de l'époque est immédiatement plongé au cœur d'une histoire d'amour (celle d'Astrée et Céladon) contrarié par des éléments extérieurs. Une longueur touffue et une quarantaine d'histoires enchâssées dans le récit initial font de cette œuvre les prémices des futurs romans-fleuves, eux-mêmes relatant des sentiments amoureux qui n'ont toujours aucun lien avec la vie sociétale de l'époque ; l'accent est mis sur le divertissement. [...]