Vingt-quatre siècles plus tard, Stendhal semble exprimer encore cette même idée lorsqu'il écrit que "toute oeuvre d'art est un beau mensonge". Mais si Platon était philosophe et non artiste, un romancier - donc : un artiste - peut-il se réapproprier cette pensée sans paradoxe ? Pour élucider ce problème, il reste à dégager les visées de l'écriture, du travail littéraire et de la lecture : écrit-on, lit-on pour le Vrai ? Pour le Beau ? Ou bien n'est-il pas préférable de préciser, voire de réorienter cette affirmation aux sous-entendus moraux - quoique cette moralité ne soit pas certaine s'agissant de l'esprit affranchi qu'était Stendhal - qui se pose comme une vérité générale ? (...)
[...] Toute œuvre d'art ne serait donc pas un "beau mensonge", mais dénoterait plutôt d'une "esthétique de réalités autres". Mais qu'entend-on par cette abstraction ? Tout particulièrement pendant le XXème siècle, et plus précisément depuis la parution de l'œuvre immense de Proust qu'est la Recherche du Temps perdu, une notion nouvelle est apparue, née de la critique littéraire : celle de l'univers du romancier, s'appliquant, par ailleurs, à tout autre écrivain. Dès lors, le mensonge est justifié, du moment qu'il s'inscrit dans un monde créé, fictif, donc nécessairement faux, mais cohérent, et à partir de là, étant étrangère au monde réel connu, une esthétique propre à chaque auteur, à chaque écrivain peut se mettre légitimement en place. [...]
[...] L'illusion vraisemblable sert dès lors plutôt à donner plus de force au rêve, à l'imaginaire. On peut retrouver ce désir dans l'analyse de l'imagination dans les fictions, qui oppose Pascal à Baudelaire, marquant ainsi une évolution, ou à défaut, la pluralité des points de vue sur cette question. Pour le premier, elle est une "puissance trompeuse", "maîtresse de la raison", et donc à éviter, ou en tout cas à dénoncer ou à maîtriser ; pour le second, elle est devenue "l'une des plus puissantes de nos facultés". [...]
[...] Cependant, si le mensonge en tant qu'il représente ou raconte autre chose que la réalité, c'est-à-dire que ce qu'il montre ne pourrait pas avoir lieu dans la réalité, est acceptable et accepté, qu'en est-il de celui qui feint de représenter la réalité, non plus en le proclamant ouvertement et explicitement dans chaque œuvre, mais en s'inscrivant dans ce que l'on nomme : le réalisme ? Pour Stendhal lui-même, un roman "est un miroir que l'on promène le long d'un chemin", donc en tant que miroir, il reflèterait strictement le réel. [...]
[...] Ou bien n'est-il pas préférable de préciser, voire de réorienter cette affirmation aux sous-entendus moraux - quoique cette moralité ne soit pas certaine s'agissant de l'esprit affranchi qu'était Stendhal - qui se pose comme une vérité générale ? Qualifier toute œuvre d'art, partant, tout récit littéraire, de mensonge, peut supposer plusieurs nuances : soit l'œuvre ment parce qu'elle méconnaît la vérité, la réalité ; soit elle l'omet ou la déforme, la transforme sciemment. Du moins, si elle ne ment est-elle le fruit du mensonge de son auteur. [...]
[...] On sait d'ailleurs à ce propos la multitude d'anecdotes qui montrent que l'auteur lui-même parlait de ses personnages comme s'ils étaient réels. Pourtant Stendhal voit juste encore en parlant de mensonge, et Maupassant de le prouver dans la préface de Pierre et Jean : les réalistes devraient, selon lui, être appelés "illusionnistes", et en effet une impossibilité technique flagrante à retranscrire le réel dans toute sa vérité, soit dans toutes ses dimensions, sa diversité, son foisonnement, s'oppose à cette prétention réaliste : il faudrait des volumes entiers pour chaque heure écoulée à écrire. [...]
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