« La tâche du romancier serait moins de décrire les grands événements que de rendre intéressants les petits ». C'est cette citation de Schopenhauer qu'Antoni Libera choisit de placer en exergue dans son roman Madame. Ayant tous trois vécu l'Occupation communiste, les trois romanciers Antoni Libera, Zsuzsa Bànk et Milan Kundera auraient pu nous livrer leur propre vécu de cette période dans un récit autobiographique. Et pourtant, tous trois ont choisi de montrer par la fiction, par la mise en scène du réel, un visage romanesque de l'Histoire. Peut-être pour pouvoir réécrire cette Histoire, peut-être pour une plus grande liberté d'écriture, ou peut-être parce que la fiction a le pouvoir du détachement. Parce qu'écrire une histoire, c'est aussi relire celle que l'on a vécu.
[...] Ce narrateur a pour particularité de marquer fortement sa présence à travers le récit. C'est un autre trait du roman kundérien, en effet, que ce qu'on pourrait appeler le non-effacement de l'auteur et son affirmation au sein même de la narration à travers une voix et une pensée clairement identifiée, qui ne craignent pas de signaler leur présence ni d'expliciter leur position à l'égard de l'univers représenté, sans pour autant priver celui-ci de son autonomie et de sa réalité propre explique François Ricard dans son Essai sur l'œuvre de Milan Kundera. [...]
[...] Mais Tomas n'hésite pas non plus à tout perdre, son statut social, sa sécurité, pour conserver sa liberté de pensée. La cause de la dégradation de sa situation sociale est le texte qu'il refuse de renier publiquement : A son retour de Zurich, Tomas avait retrouvé son poste dans le même hôpital de Prague. Mais un peu plus tard, il fut convoqué par le chef de service. En fin de compte, mon cher collègue, lui dit-il, vous n'êtes ni écrivain ni journaliste, ni le sauveur du peuple, vous êtes médecin et homme de science. [...]
[...] Se situant toutes trois autour des années 1960, les intrigues des romans sélectionnés se déroulent respectivement en Tchécoslovaquie, en Pologne et en Hongrie. Notre objectif a donc été d'analyser les différentes façons de percevoir l'oppression communiste et de témoigner de l'Histoire : Comment ces romans des pays de l'Est transmettent-ils la multiplicité des vécus et des visions de l'occupation communiste ? Les trois œuvres, par des compositions et procédés différents, optent tous pour l'expression de l'Histoire collective par l'histoire individuelle. La critique du système totalitaire y est abordée de manières plus ou moins explicites. [...]
[...] Ce procédé de mise en scène d'authenticité permet à Libera d'attirer toute l'attention du lecteur, mais également de prendre une marge d'autonomie plus importante vis-à-vis de la réalité des faits, de se détacher de son propre parcours personnel pour préférer la liberté romanesque. Au contraire, Kundera n'hésite pas à jouer de l'aspect fictionnel du récit : Il serait sot, de la part de l'auteur, de vouloir faire croire au lecteur que ses personnages ont réellement existé. Ils ne sont pas nés d'un corps maternel, mais de quelques phrases évocatrices ou d'une situation clé. Tomas est né de la phrase einmal ist keinmal. Tereza est née de borborygmes. (p.63) L'auteur utilise de manière explicite la fiction romanesque pour montrer la vérité historique. [...]
[...] A présent que la fête était finie, elle avait de nouveau peur de ses nuits et elle voulait fuir devant elles. Elle avait découvert qu'il existait des circonstances où elle pouvait se sentir forte et satisfaite, et elle désirait partir pour l'étranger dans l'espoir d'y retrouver des circonstances semblables. [ ] Celui qui veut quitter le lieu où il vit n'est pas heureux. Ce désir de Tereza d'émigrer, Tomas l'accepta comme un coupable accepte le verdict. (p.46) Leur second exil, à la campagne, est encore une fuite à la fois politique et amoureuse. [...]
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