À travers le motif de la nuit, vous étudierez comment Péguy et Bernanos transcrivent sur le mode poétique une expérience spirituelle aux multiples facettes.
« Il repartait au soir tombé, aimant sans doute le semi noctambulisme au clair de lune ». Cette facette de la personnalité de Bernanos, relevée par Henri Tillette, entoure déjà l'auteur de la nouvelle Une nuit de cette figure littéraire évocatrice. Le thème nocturne se couche également sur toute la poésie de Charles Péguy. Pourtant ils ne sont pas les premiers à se servir de ce filtre sémiotique. La nuit, en effet, est un poncif non seulement littéraire, mais aussi social, et a même fait l'objet de titres d'ouvrages dont les plus beaux sont sans doute la Noche oscura de Saint Jean de la Croix et L'hymne à la nuit de Novalis. Péguy et Bernanos, avant même de rentrer dans la nuit, font face à un double défi littéraire. Celui de se placer dans la convention sur le référent conceptuel ou réel qui se rapporte à la nuit afin d'être compris d'une part, et celui de donner des couleurs personnelles à ce thème afin de ne pas tomber dans le plagiat et de manifester vraiment leur propre expérience.
Dans tous les cas, la nuit sert de point d'accroche, de point d'articulation entre la pensée de l'auteur et celle du lecteur, à moins que la nuit ne désigne effectivement le phénomène climatique qui commence au coucher du soleil et prend fin à son lever, et alors la nuit n'a rien de littéraire, puisqu'elle n'est pas chargée de plus de sens que celui contenu dans sa définition. Mais pourquoi alors passer par le thème de la nuit pour exprimer une pensée ? La motivation peut être esthétique, pour manifester par l'apport de la beauté littéraire quelque chose de plus que la simple idée nue, ou alors résulter d'une incapacité de la langue à traduire cette pensée, l'auteur devant alors passer par le biais de l'image, comme celle de la nuit. Si, dans les œuvres, l'auteur passe par la nuit pour atteindre le lecteur, le présent travail consiste à faire le chemin inverse, pour savoir à quoi fait référence cette figure nocturne dans la vie et dans l'esprit des deux auteurs du début du XXème siècle. Tout le problème est donc d'atteindre les auteurs à travers la nuit, et d'établir des points de comparaisons entre eux.
Trois degrés de représentation sont décelables dans l'utilisation du motif de la nuit chez Péguy et Bernanos. Tout d'abord il y à ce que la nuit évoque comme phénomène naturel, ensuite ce que le noir évoqué par la nuit évoque comme expérience intérieure, enfin il y a ce que le surnaturel évoqué par le noir évoqué par la nuit évoque comme dimension métaphysique et eschatologique. Nous traiterons donc successivement de ces trois degrés de représentation sans oublier qu'ils sont ici distingués et non séparés, car un degré de figuration inclut nécessairement le degré inférieur.
[...] Trois degrés de représentation sont décelables dans l'utilisation du motif de la nuit chez Péguy et Bernanos. Tout d'abord il y à ce que la nuit évoque comme phénomène naturel, ensuite ce que le noir évoqué par la nuit évoque comme expérience intérieure, enfin il y a ce que le surnaturel évoqué par le noir évoqué par la nuit évoque comme dimension métaphysique et eschatologique. Nous traiterons donc successivement de ces trois degrés de représentation sans oublier qu'ils sont ici distingués et non séparés, car un degré de figuration inclut nécessairement le degré inférieur. [...]
[...] Le présent n'est pas tant un instant qu'une journée du lever au coucher du soleil. Le demain est futur car il est séparé du présent par la nuit. Mais il est important de noter que ce premier degré de figuration se trouve rarement chez Péguy, en ce qui concerne le motif de la nuit, ce qui prouve la profondeur de sa poésie et qui appuie son caractère mystique. Pour Bernanos, la nuit en tant que telle est d'abord le lieu du crime par excellence. [...]
[...] Comme la nuit est noire, noire et douce ! . Toutefois il n'y a pas d'uniformité dans le traitement de la nuit comme phénomène climatique dans la totalité de l'œuvre de Bernanos, comme le note Hans Urs von Balthasar, et l'on peut distinguer trois étapes différentes dans la vision de la nuit par rapport aux personnages. Tout d'abord dans les romans qui précèdent La Joie, la nuit est considérée pour elle-même, indépendamment des personnages, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas de rapport avec les personnages. [...]
[...] Au premier degré de figuration, la nuit symbolise le lieu du sommeil pour Péguy et le lieu du crime pour Bernanos. Au deuxième degré, on trouve comme signification du thème nocturne le mystère et le désespoir. Enfin au troisième niveau, la nuit représente l'espérance ou le moyen de l'espérance et le lieu de la création, tout en dépassant toute figuration, car la nuit devient alors agissante sur le poète, elle ne manifeste plus une expérience spirituelle de l'écrivain, elle est elle-même une expérience spirituelle. [...]
[...] La totalité de l'œuvre de Péguy est marquée par le double tracas du vieillissement et de l'enfer. Ces problèmes n'ont rien d'intellectuel car l'écrivain en tant qu'homme y est au cœur. Le vieillissement bergsonien, c'est-à-dire le passage du se faisant au tout fait[31] se fait sentir particulièrement dans Clio et d'autres articles dans lesquels il place la postérité de son œuvre sous ce critère[32]. Or, la nuit telle qu'elle est évoquée dans les œuvres poétiques, conjure le sort du vieillissement. [...]
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