Le Premier Homme de Camus peut-il être légitimement qualifié de biographie, voire d'autobiographie ?
[...] Nous l'avons dit, Le premier homme peut être assimilé à une autobiographie, comment se manifeste celle-ci, sous quelles formes ? Le premier élément de réponse à cette question est le récit rétrospectif que fait Camus de sa propre vie. En effet, même si l'auteur se réfugie derrière un pseudonyme (Jacques Cormery) le récit reste autobiographique car les événements narrés sont ceux qu'a vécus l'auteur. De plus l'auteur prend Jacques pour personnage central et tout l'intrigue n'existe que par rapport à lui En outre, on sait qu'une autobiographie passe nécessairement par le récit de l'enfance de l'auteur, car celle-ci constitue un moment essentiel de la vie, celui où se forge la personnalité du futur adulte. [...]
[...] Albert Camus, Le Premier Homme : S'agit-il d'une autobiographie ? On pourrait d'abord penser que Le premier homme est un récit fictif narrant l'enfance pauvre en Algérie de Jacques Cormery ainsi que la quête des origines du personnage devenu adulte. Mais il faut être naïf, ou n'avoir aucune notion biographique sur l'auteur pour ne pas reconnaître Camus enfant sous les traits de cet écolier algérien. Ainsi, bien que les noms des personnages soient fictifs, on ne peut nier que la matière de cet ouvrage est en grande partie d'ordre autobiographique. [...]
[...] D'autre part, l'auteur a dévoilé le contenu personnel de son œuvre par le biais du choix des personnages, de leur prénoms et du contexte spatio-temporel du récit. Toutefois, l'écriture à la troisième personne, la dimension mythique qui transparaît de l'œuvre ainsi que le fictif de certaines scènes où l'imagination de Camus prévaut sur sa mémoire, sont des aspects de l'œuvre qui nous empêchent de désigner ce roman comme étant une autobiographie. On peut néanmoins déclarer que peu de romans se donnent aussi peu la peine de camoufler leur caractère autobiographique. [...]
[...] On retrouve encore un effet de miroir entre le récit et la vie de Camus puisque les sentiments que celui-ci avait pour sa mère font écho à l'histoire d'amour que l'on peut percevoir dans Le premier homme. C'est une relation fusionnelle unissant le fils et la mère, dans la vie comme dans le récit, il a pour elle un amour absolu, presque indicible. C'est pour cette raison que Le premier homme est écrit pour elle, dédié, À toi qui ne pourras jamais lire ce livre Les personnages que Camus décrit dans ce livre sont donc en tout point identiques aux personnes que l'auteur côtoyait. On peut ainsi affirmer que la substance de ce roman est autobiographique. [...]
[...] Cependant, la forme, elle, s'oppose au genre autobiographique. En effet, le récit, bien qu'il raconte l'enfance d'Albert Camus, est à la troisième personne du singulier. On observe donc une prise de distance et un décalage avec le je autobiographique traditionnel : il n'y a pas de pacte autobiographique. On peut expliquer ce choix de narration de deux manières distinctes. D'une part cette forme permet à Camus un certain anonymat. L'utilisation de la troisième personne masque ainsi la pudeur naturelle avec laquelle l'auteur traite de ses questions personnelles telle que l'impossible quête d'identité. [...]
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