Né en juillet 1945 d'une mère flamande et d'un père juif, Patrick Modiano est un écrivain autodidacte. Titulaire d'un baccalauréat, il n'a pas entrepris d'études supérieures. C'est donc pour vivre et parce qu'il ne savait rien faire d'autre qu'il s'est lancé dans l'écriture pour en faire, dès 1967, sa seule activité professionnelle.
La plupart de ses romans abordent les thèmes de l'absence, peut-être à cause du décès de son frère Rudy, en 1957, alors qu'il n'a que dix ans et du manque des figures maternelle et surtout paternelle ; de la quête d'identité, de la recherche d'indices pour reconstituer des souvenirs et la lutte contre l'oubli. Ce dernier est bel et bien le thème omniprésent dans toute l'oeuvre romanesque de Modiano. De Villa triste à Rue des boutiques obscures, en passant par Dimanches d'aout et Vestiaire de l'enfance, le thème de l'oubli recoupe souvent celui de la disparition (Boulevards de ceinture, Dora Bruder) qu'il exploite avec la période de l'Occupation, propice à la création littéraire dans la mesure où elle permet de recréer une histoire.
L'oeuvre de Modiano est surtout autofictive, comme s'il cherchait désespérément à mettre des mots sur les sensations d'un siècle bouleversé par son histoire. De La place de l'Etoile en 1968 à L'horizon en 2010, Modiano c'est trente-six romans. Son activité littéraire intense (un roman par an en moyenne) lui laisse pourtant le temps d'explorer d'autres disciplines. En témoignent une interview, Emmanuel Berl, interrogatoire en 1976, des dialogues de films dont Lacombe Lucien pour Louis Malle en 1974 et des paroles de chansons pour Françoise Hardy (Etonnez-moi, Benoit, San Salvador, Je fais des puzzles, A cloche-pied sur la grande muraille de Chine), Régine (L'aspire à coeurs), Henri Seroka (Les oiseaux reviennent). Enfin, en sa qualité d'inventeur, outre le fait que son roman Une jeunesse ait été adapté par Moshe Mizraki, il n'est pas étonnant de voir qu'il a participé à la création de scénarios comme Le fils de Gascogne de Pascal Aubier et Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau, film qui aborde un des ses thèmes privilégiés : sous l'Occupation, les protagonistes se voient dans l'obligation de fuir en zone libre.
Par conséquent, autofiction, absence, manque, mémoire déficiente sont des thèmes omniprésents dans toute l'oeuvre de Modiano. Dans quelle mesure alors pouvons-nous dire que l'écrivain use de l'autofiction comme d'un remède à la perte de mémoire (...)
[...] Ainsi, Modiano tente avec Un pedigree de reconstituer un parcours, mais de manière décousue. Le narrateur est désemparé, perdu, il n'arrive pas à trouver son identité et est comme un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree Nous retrouvons justement ici le cractère autofictif de cette œuvre. Il tente par tous les moyens possibles de se construire, voire de se reconstruire une vie. Pour cela, il va essayer de mettre des mots sur des passages à vides de son existence et comprendre pourquoi, par exemple, son père est tant resté loin de lui et pourquoi sa mère était tellement indifférente à son égard. [...]
[...] De plus, nous voyons que, de concours avec les chiffres, Modiano a aussi recourt à la spatialisation géographique des endroits. Il nomme les rues, comme pour dresser la carte d'un itinéraire emprunté. Cette façon de faire est d'ailleurs très visible dans Rue des Boutiques obscures où les énumérations rurales foisonnent : 25, avenue du Maréchal Lyautey 97, rue de Rome Je finissais par déboucher sur la chaussée de la Muette Porte Maillot, il brûla un feu rouge et le chauffeur de taxi n'osa pas l'imiter. [...]
[...] En effet, l'écrivain va à l'essentiel. Á grand renfort de phrases incisives, courtes et rapides, le style de Patrick Modiano est épuré, sans fioriture. Des phrases telles que D'hier à aujourd'hui. Une photo plus ancienne de Dora seule, à neuf ou dix ans. C'est avant-hier que j'ai été nommé pour le départ. montrent toute l'ambition narrative d'un écrivain qui a le souci de la concision. Et cette syntaxe colle parfaitement à l'histoire racontée dans Dora Bruder, celle d'une enquête minutieuse et documentée. [...]
[...] Ce Mémorial est, tout comme peut l'être un annuaire téléphonique ou un bottin, une liste de noms. D'ailleurs, l'auteur déclare, dans un entretien avec Le Magazine Littéraire : Ce Mémorial avec tous ces noms, ces listes de noms, donnait à la Shoah une dimension inédite, une réalité qu'elle n'avait pas avant. Ç'a été une forme de prise de conscience pour moi. Ces listes avaient quelque chose de définitif. Et ce qui m'a fait un choc, c'est que le Mémorial rejoignait précisément certains thèmes que je portais en moi depuis longtemps [ Car il n'y a dans ce Mémorial que des noms, des dates de naissance. [...]
[...] Mais les chiffres ne servent pas seulement à un exercice de cartographie, mais aussi à un travail d'identification. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les déportés dans les camps de concentration se voyaient attribuer un numéro de matricule dans le but de les répertorier. Par conséquent, lorsqu'il fait, dans Dora Bruder, la liste des connaissances potentielles de la jeune fille, il le fait de manière très spécifique : 5e Winerbett Claudine Paris 9e. Française rue des Moines. J. xx Drancy le 13/8/ 5e Strohiltz Zélie Paris 11e. Française rue Molière. [...]
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