Tout le monde sait ce qu'est le théâtre, du moins tout le monde en a une idée. La plupart des sociétés ont des pratiques qui correspondent à ce que nous appelons théâtre. Mais sous cette évidence se logent en fait des réalités complexes. De ses origines gréco-romaines jusqu'à ses formes les plus contemporaines, le théâtre n'a cessé d'être mis en question.
C'est durant la décennie 1660-1670 que le théâtre classique est à son apogée et qu'il connaît par ailleurs une intense contestation. Les vives critiques à l'égard de cet art révèlent la prise de conscience, surtout chez les détracteurs du théâtre, du pouvoir et de la place qu'il occupe dans la société. Au XVIIIe siècle, cette querelle trouve encore écho. Voltaire veut installer un théâtre aux Délices mais se heurte au grand Conseil de Genève. Il inspire alors à D' Alembert l'article Genève de l'Encyclopédie. Jean Jacques Rousseau répond alors longuement dans la Lettre à d'Alembert sur les Spectacles en 1758. Il dénonce l'immoralité du théâtre et combat le projet d'en établir un à Genève. Cet ouvrage produit ainsi une critique idéologique sur fond de réflexion anthropologique. La critique de Rousseau est axée autour des dangers du théâtre, à savoir les méfaits de la comédie, de la tragédie, de la représentation des passions mauvaises, mais aussi autour du rapport entre l'auteur et son public. La critique de Rousseau répond ainsi à la problématique suivante: Comment le théâtre corrigerait-il les moeurs puisqu'il est obligé, pour plaire, de flatter les goûts du public et d'exciter ses passions ?
[...] Brecht casse toute illusion mimétique, on aboutit ainsi à un théâtre intellectuel qui favorise une distance critique à propos de conflits sociaux, de problèmes politiques. Au XXIe siècle, la question du rapport entre le théâtre et l'actualité est toujours ouverte, le théâtre est toujours en question. il encore un rôle à jouer ou est-il devenu un simple divertissement? En quel sens peut-il rendre compte de problèmes actuels? Comment une forme artistique telle que le théâtre peut-elle rivaliser face au déferlement de l'information qui caractérise la société dans laquelle nous vivons: information en continu, chaînes de télévision? [...]
[...] Quant à Pavel, il montre dans sa conférence intitulée Fiction et perplexité morale que pour rentrer dans la complexité du monde, une représentation, une mimésis est rendue nécessaire. De plus, le plaisir du lecteur ou du spectateur, séduit par la fiction, permet la délégation d'un moi fictif, intermédiaire essentiel pour saisir l'action des personnages, la signification, le sens. Mais de l'identification à l'illusion, aucune certitude ne peut surgir, il ne peut s'agir que de questionnements, de problèmes auxquels le spectateur doit ensuite donner un sens: plaisir du bricolage. [...]
[...] La question du théâtre et de la modernité c'est-à-dire des rapports qu'entretient le théâtre avec l'actualité et la politique est une question récurrente qui traverse les siècles et qui participe de l'interrogation sur l'utilité du théâtre. La querelle de la moralité en est une facette mais correspond à la conception moraliste du théâtre du XVIIe et du XVIIIe siècles. Il convient d'abord de poser la question sur une échelle temporelle plus large puis de s'attarder plus particulièrement sur le lien entre le théâtre et l'actualité au XXe et XXIe siècle. [...]
[...] Ces questions sont toujours d'actualité, mais la forme qu'elles revêtent varie en fonction de l'époque, de la civilisation. Deux exemples particulièrement significatifs: le drame des rois de Shakespeare tout d'abord. Par un texte magnifique, une dramaturgie exceptionnelle, le drame politique de Shakespeare nous montrent différentes formes du pouvoir: la violence avec Henri IV, l'absolutisme expansif avec Richard II . ; or le théâtre a la particularité de permettre une prise de distance, ce recul assure alors une vision plus claire du sujet traité. [...]
[...] Le théâtre, pour Rousseau, ne pouvait donc être qu'immoral et porteur d'aucun enseignement fécond de ce point de vue. Cette vision apparaît aujourd'hui comme trop restrictive et ne prenant pas assez en compte la richesse de cet art. En effet, la mimésis aussi bien que la séduction sont deux mécanismes clefs qui permettent à l'homme de comprendre le réel de manière ludique. De plus, on admet aujourd'hui que le théâtre n'apporte plus de réponses, mais contribue à ébranler nos certitudes, à nous interroger, il a donc une fonction morale, philosophique, politique, anthropologique incontestable. [...]
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