Flaubert était convaincu que le langage qu'il avait à sa disposition était devenu vieux, usé, au point d'en devenir inapproprié et insuffisant à la création littéraire. Il écrit à Mlle Leroyer de Chantepie : « L'art est long, presque impossible même lorsqu'on écrit dans une langue usée jusqu'à la corde, vermoulue, affaiblie et qui craque sous le doigt à chaque effort. » Flaubert pensait qu'il fallait alors inventer un nouveau langage, « donner aux gens un langage dans lequel ils n'ont pas pensé » . Comment ses romans reflètent donc ces préoccupations vis-à-vis du langage, et des difficultés qu'on rencontre dans son usage dans le travail d'écriture ?
[...] En rassemblant plusieurs allusions à ce thème qui apparaît au travers des romans de Flaubert, on voit que le langage est souvent considéré comme un élément de discorde et de confusion. Dans Madame Bovary, le discours du sous-préfet aux Comices agricoles est plein de jargon inutile, qui donne un sentiment de vacuité et d'absurdité du langage. Dans l'Education Sentimentale, c'est le discours de l'Espagnol au club de l'Intelligence, qui produit le même effet. Les destinataires du message ne comprennent pas, mais ils applaudissent tout de même. [...]
[...] Comme le montre Charles Bernheimer[23], au lieu d'accumuler des connaissances supplémentaires à chaque fois qu'ils se lancent dans une nouvelle discipline, ils discréditent chacune en mettant à jour les lacunes qu'il y a derrière ses formulations symboliques au moyen du langage. Flaubert exploite la problématique du langage en tant que système symbolique tournant sur lui-même, qui commence alors à être développée par les philosophes contemporains. L'idée est qu'on utilise des mots/signifiants pour exprimer un phénomène/objet/signifié, et qu'à force le signifiant prend le pas sur le signifié. [...]
[...] Il décrit ce projet comme une entreprise écrasante et épouvantable un livre insensé Il écrit : le difficile dans un sujet pareil c'est de varier les tournures. Si je réussis, ce sera, sérieusement parlant, le comble de l'Art En effet dans Bouvard et Pécuchet, le sujet de fond du roman est effacé et secondaire, c'est le style qui fait tout tenir. Dans ce roman il a voulu pousser jusqu'au bout son idée de suprématie du style, son ambition d'écrire, rien que sur l'activité d'écrire elle-même. [...]
[...] On retrouve dans Salammbô des préoccupations très fortes par rapport au langage. Au début du roman, c'est le désordre, le chaos, la confusion lors du banquet donné à la fin de la guerre. On perçoit bien la confusion linguistique qui règne : On entendait, à côté du lourd patois dorien, retentir les syllabes celtiques bruissantes comme des chars de bataille, et les terminaisons ioniennes se heurtaient aux consonnes du désert, âpres comme des cris de chacal. Les expressions sont très limitées. [...]
[...] Berrong[19] montre comment le personnage de Spendius est fortement associé au langage : il parle grec, ligure, punique, et sert donc d'interprète. Il montre en plus de cela des qualités de diplomatie et d'éloquence. Cependant, afin de creuser le fossé entre Barbares et Carthaginois, il profite de l'incompréhension générale pour détourner les traductions qu'il donne. Par exemple, il traduit mal le discours du suffète Hannon lorsqu'il se rend hors de Carthage pour apaiser la colère des mercenaires qui campent autour de la ville : Il vous a appelés lâches, menteurs, chiens et fils de chiennes. [...]
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