A la différence des autres arts, la littérature a la spécificité d'être constituée avec du langage qui est déjà signifiant au moment où l'écrivain s'en empare. La langue qui nourrit l'œuvre littéraire en germe n'est donc jamais vierge. La production d'un écrivain est alors nécessairement conditionnée par le rapport qu'elle entretient avec les autres textes qui l'ont précédée. Aussi l'écrivain peut se définir comme celui qui « […] n'écrit que parce qu'il réécrit : ce qu'il connaît, c'est moins la grâce de l'écriture que l'efficace de la réécriture. Ou ; si l'on aime mieux, l'écrivain est celle ou celui, qui accepte l'apport spécifique de l'écrit dans la formation de sa pensée ». Autrement dit, toute littérature est emprunt : l'écrivain ne peut écrire que dans une langue qui a déjà porté d'autres œuvres, et il en demeure lui-même marqué. La littérature est ainsi pensée comme un fini infini. Tout a déjà été écrit. Elle est une boucle que les écrivains ne cessent de re-parcourir. En ce sens, ils ne produisent rien d'originel. En revanche, la littérature est infinie en réécritures. Elle est donc une boucle dont on ne saisira jamais le nœud. L'écriture originelle a laissé place à l'expérience de la puissance de régénération de la littérature par le langage. Les lectures antérieures de l'écrivain déterminent l'infinité du développement de l'écriture. La bibliothèque devient ainsi une alternative au monde. L'écrivain puise sa matière à écriture dans l'univers littéraire qui l'entoure, en recevant les productions d'autrui qu'il modifie. L'acte d'écriture de l'artiste se conçoit alors comme la transcription et la recomposition de ses lectures. L'écrivain accepte de se détourner du monde pour faire l'expérience par la réécriture du pouvoir de récréation infini du langage. Mais la littérature ne risque-t-elle pas de perdre sa fonction de communication en bornant le travail artistique à une simple redistribution du monde des mots ? Ce dialogue entre l'écrivain et le langage ne risque-t-il pas de négliger la part fondamentale du lecteur, destinataire du message littéraire et sans la participation duquel l'œuvre n'aurait pas de sens ? La création ne peut-elle se concevoir que dans une relation transtextuelle ?
C'est pourquoi, dans quelle mesure peut-on considérer l'écriture comme le champ d'exploration individuelle de la littérature par l'écrivain ? La réécriture, en tant qu'expansion textuelle d'un signifiant, témoigne certes du pouvoir de régénération de la littérature. Cependant, l'écrivain peut revendiquer le droit à une écriture neuve en réinstaurant le dialogue entre le monde des mots et le monde réel. Comme la réception signe le postulat de la littérature, l'expérience littéraire peut trouver son renouveau au travers du prisme de l'individualité.
[...] Auge est une inversion carnavalesque de la noblesse chevaleresque. Queneau se livre également au pastiche du style des auteurs du Nouveau roman qui cherchent à recréer un nouveau réalisme en s'inspirant de Flaubert. Ainsi la description hyperréaliste de la casquette d'Onésiphore Biture renvoie à celle de Charles Bovary. La réécriture burlesque du baiser amoureux n'est pas sans rappeler l'écriture de Robbe-Grillet qui s'apparente à une caméra objective, dans Les gommes. La réécriture témoigne donc de l'influence qu'exerce l'hypotexte sur l'hypertexte et de la nécessité de l'hypotexte pour créer. [...]
[...] Dans quelle mesure peut-on considérer l'écriture comme le champ d'exploration individuelle de la littérature par l'écrivain ? A la différence des autres arts, la littérature a la spécificité d'être constituée avec du langage qui est déjà signifiant au moment où l'écrivain s'en empare. La langue qui nourrit l'œuvre littéraire en germe n'est donc jamais vierge. La production d'un écrivain est alors nécessairement conditionnée par le rapport qu'elle entretient avec les autres textes qui l'ont précédée. Aussi l'écrivain peut se définir comme celui qui [ ] n'écrit que parce qu'il réécrit : ce qu'il connaît, c'est moins la grâce de l'écriture que l'efficace de la réécriture. [...]
[...] C'est dans la réception individuelle du réel de chaque auteur que la littérature signe alors son acte de naissance. Chaque écrivain est unique, chacun a sa propre sensibilité. En ce sens, la littérature trouve son renouveau dans l'originalité auctoriale. L'œuvre d'art n'est donc plus un discours sur autrui ou sur le réel mais l'expression d'un regard particulier sur le monde. Ainsi le travail de l'écrivain consiste non pas à retranscrire les accidents de sa vie mais de déchiffrer le livre intérieur des signes inconnus que des impressions fugitives ont laissé en lui, ce à quoi le narrateur de la Recherche du Temps perdu va s'employer. [...]
[...] L'écrivain est habité par le monde de l'écrit selon Malraux. Il ne reçoit pas d'inspiration originale et originelle mais trouve la matière de son écriture dans la littérature. En ce sens, la réécriture témoigne de la force de régénération de la littérature dans laquelle chaque écrivain trouve son renouveau. La littérature est alors autoréférence au sens où chaque texte trouve sa légitimité d'existence dans le rapport qu'il entretient avec un hypotexte selon Genette. En effet, l'écrivain n'invente rien car la littérature tire sa forme d'elle-même. [...]
[...] La littérature est ainsi définie comme un vaste dialogue dans lequel chaque texte n'est fait que des textes qu'il recompose. A ce propos, Sollers aura ce mot : Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes »[2].Pour Genette, l'homme n'est alors qu'un bibliothécaire imparfait. Parfois faute de trouver un livre qu'il cherche, il en écrit un autre : le même ou presque. La littérature est cette tâche imperceptible et infinie Aussi Aurélien, dans la nouvelle intitulée Les Théologiens, se heurte à la difficulté de rendre compte avec ses propres mots de la doctrine des Histrions, étant trop affectée et métaphorique pour être transcrite : quand il voulut écrire la thèse atroce selon laquelle il n'y a pas deux instants semblables, sa plume s'arrêta. [...]
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