« Qui a le sens de l'unité a le sens de la multiplicité des choses, de cette poussière d'aspects par lesquels il faut passer pour les réduire et les détruire » dira Antonin Artaud. Un siècle plus tôt, Mérimée propose avec son Théâtre de Clara Gazul la première application des théories romantiques, créant dans une œuvre unique la « multiplicité des influences de son époque ». C'est ainsi que Xavier Darcos dans la biographie qu'il consacre à Mérimée écrit : « Mérimée est un génie mixte, à la fois rationnel et émotif, certes sensible au souffle novateur et sentimental du courant romantique, mais soucieux de s'en défendre, de ne pas céder au pathos, à l'affectation, à un irrationnel délirant ». Par génie, X. Darcos tente de montrer que Mérimée a eu une influence déterminante sur ses contemporains romantiques en proposant cette application des règles théâtrales. Il le qualifie de « mixte » en ceci que ce que propose Mérimée n'est pas d'opposer les styles ou les aspirations romantiques ou classiques de l'époque mais bien de les mêler, de les compléter l'une par l'autre, tout en gardant cet aspect « novateur » propose aux romantiques comme le non-respect des formes et des règles classiques par exemple. En opposant rationnel – car rationnel, Mérimée l'est, évitant le plus possible une affectation, c'est-à-dire une préciosité qu'il a en horreur – et irrationnel délirant, X. Darcos propose également de « ranger » Mérimée dans la catégorie naissante des romantiques libéraux, l'opposant aux romantiques ultras comme l'a été Chateaubriand, qui exaltait une certaine exacerbation du pathos, c'est-à-dire des procédés conduisant à toucher l'âme du lecteur ou de l'auditeur, faisant naître en lui des sentiments propre à toucher sa « sensibilité » comme dans René, « sentiments » qui paradoxalement se retrouverait chez Mérimée, un « émotif » selon X. Darcos, quelqu'un capable de faire naître donc ces sentiments. On voit donc là une contradiction même dans la définition de Mérimée, comme si ce dernier ne pouvait être rangé dans une catégorie bien précise. C'est d'ailleurs pour cela que l'on se demandera en quoi Mérimée, par le respect des valeurs romantiques mais aussi par le déni de certaines parvient à être un « génie mixte » qui explose les limites d'un romantisme, qui se théorise alors, par la pratique du théâtre romantique, et si le romantisme de Mérimée n'est pas plutôt celui d'un mélange entre classicisme et « romanticisme ».
Pour ce faire, nous verrons tout d'abord que Mérimée fait bien parti de ce « souffle novateur », avant d'observer que le Théâtre évite la dichotomie complète qui s'opère entre romantisme et classicisme. Pour finir, nous jugerons que Mérimée va plus loin : Mérimée comme « génie mixte » au delà du souffle novateur.
[...] Si selon Boileau l'action devait se dérouler dans les vingt-quatre heures pour une question de vraisemblance, Mérimée par sa pièce d'ouverture combat déjà cette unité. En effet, les Espagnols en Danemarck se déroulent sur plusieurs jours. L'exemple sera l'invitation à dîner que le Résident envoie à La Romana et à Juan Diaz. L'invitation à dîner est pour demain selon le mot de Charles Leblanc. L'action ne peut par conséquent se dérouler sur un jour, la dernière scène de la pièce étant le dîner en question. [...]
[...] [ ] je suis bien faible L'exclamation, les points de suspension, la rapidité de la scène et l'annonce de la nouvelle, même si elle pourrait prêter à sourire au vue de la naïveté d'Inès dans la pièce, peut laisser légitimement penser que la pièce a pu ou peut créer les prémices d'un pathos, du développement d'une certaine sensibilité chez le lecteur, qui montre bien que Mérimée ne se défend pas toujours radicalement de la position des romantiques ultras du premier romantisme, mais bien qu'il peut lui arriver de converger vers une sensibilité qui va au delà d'une simple sentimentalité pour toucher l'âme ou le cœur du lecteur/spectateur. Il crée le sentiment par l'irrationnel délirant et l'exacerbe par le pathos. [...]
[...] On a donc déjà là un mélange, plus qu'une véritable dichotomie les deux courants, et donc déjà Mérimée se défend [du courant romantique] comme le dit X. Darcos. Le second point plus classique est celui de l'usage de procédés qui n'ont rien de novateur et si l'on peut trouver dans le procédé du Deus Ex Machina un souffle ce n'est pas celui de l'originalité, mais plutôt le souffle d'une solution à tout problème. Ce Deus Ex Machina, il transparaît dans l'arrivée du Roi à la fin d'Inès ou le Préjugé Vaincu. [...]
[...] Ici, Mendo coupe son bras, la légitimité, aux yeux du spectateur qui subit cette émotion serait que Mendo soit honoré pour son geste noble. Le Roi et son intervention règleront cela. On voit bien donc une influence des classiques sur le jeune Mérimée ici. C'est aussi par cette influence classique que Mérimée n'est pas toujours sensible au souffle novateur du courant romantique Les classiques sont encore bien ancrés dans sa culture, comme on le voit bien avec les multiples références implicites ou non à des auteurs dont nous considérerons ici le plus présent à notre avis, j'ai nommé Molière. [...]
[...] Ami de Nodier et de Stendhal, Mérimée ne peut être qu'en apparence un romantique, et non bien sûr un classique. Ce mouvement romantique, c'est ce souffle novateur et il convient d'expliciter en quoi il est novateur, et quelles caractéristiques on retrouvera dans l'œuvre de Mérimée, nous choisirons trois éléments révélateurs pour expliciter cette thèse. Chronologiquement, c'est Stendhal qui propose la première grande théorie sur le romantisme. Dans Racine et Shakespeare en 1823, Stendhal annonce les grands thèmes du romantisme. La première grande rupture est le combat des règles des trois unités. Chez Mérimée, ce combat s'illustre parfois très bien. [...]
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