Le pouvoir évoque de manière courante la faculté d'exercer sur quelqu'un une domination telle qu'on obtienne de lui des actes ou un comportement qu'il n'aurait pas adoptés spontanément. Ainsi selon Voltaire, « Le pouvoir, c'est la possibilité de faire faire à d'autres ce qui me plaît ».
La Fortune des Rougon, premier roman du cycle des Rougon-Macquart, analyse les mécanismes de l'accès au pouvoir et interroge la valeur même du pouvoir par une représentation dégradée du monde politique. Zola y reprend en effet de manière parodique le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851 : il raconte l'événement à une échelle réduite en décrivant l'ascension des Rougon dans la petite ville de Plassans.
Mettant en scène les appétits de jouissance, de domination, l'ambition et la frustration, Zola donne l'image d'un pouvoir fondé sur la manipulation généralement déloyale et anti-éthique d'autrui, un pouvoir qui correspondrait donc à la définition qu'en fait Voltaire. Toutefois, par sa dimension parodique et par l'introduction de divers contre-pouvoirs, ce roman exprime aussi la nostalgie d'un pouvoir politique qui serait juste et efficace. On peut alors se demander si Zola adhère à la définition désabusée du pouvoir comme action mauvaise et égoïste, ou si au contraire il conteste cette conception de la politique et envisage d'autres modalités de l'exercice du pouvoir. Dans quelle mesure Zola consent-il dans La Fortune des Rougon à la dimension manipulatrice de l'exercice du pouvoir ?
Il s'agira d'abord de considérer à quel point le pouvoir est dégradé dans le roman en action de tromperie et de domination. Puis on se demandera si le rapport à l'autre y est toujours conçu sous l'angle de la manipulation et des enjeux de pouvoir. Enfin, on interrogera le succès effectif de la manipulation dans la quête de pouvoir, pour réfléchir sur la véritable possibilité de pouvoir de l'homme.
[...] D'une part, il importe d'être informé du cours des événements politiques. L'évolution des rapports de force à Plassans dépend en effet de celle de la France entière : c'est pourquoi la possession de l'information permet d'assurer sa domination. Ainsi, Pierre établit son autorité sur le salon Jaune grâce aux renseignements qu'il reçoit régulièrement de son fils Eugène ; au contraire, il est paralysé lorsqu'il est privé de nouvelles de Paris : Le manque absolu de nouvelles certaines était l'unique cause de leur indécision anxieuse (p.316). [...]
[...] Ainsi, la quête de pouvoir dans La Fortune des Rougon apparaît comme un combat psychologique où la manipulation des esprits et de l'opinion passe par un maniement des apparences, du langage et de l'information. D'ailleurs, non seulement le pouvoir passe par la manipulation, mais toute forme de relation à l'autre semble être contaminée par la manipulation et le désir de pouvoir. On peut alors se demander si Zola dresse le simple constat de cette perte d'authenticité des relations humaines ou s'il parvient à se détacher de cette conception anti-éthique du pouvoir La remise en cause du modèle bonapartiste du pouvoir Zola, tout en dressant le paysage d'un pouvoir politique fondé sur les bas instincts, se distancie de cette conception par la parodie. [...]
[...] La manipulation de l'opinion est dans La Fortune des Rougon un enjeu central du pouvoir ; elle se fait d'abord sous la forme de la propagande. Ainsi après la prise de la mairie, Rougon et Granoux inventent une épopée, une odyssée prodigieuse (p.294) où ils jouent le rôle de héros et où les faits sont amplifiés et modifié : la balle perdue est décrite comme celle qui a failli tuer Rougon, le nombre des insurgés est amplifié, le coup de main sans danger se transforme lutte héroïque. [...]
[...] Le roman nous montre donc que le pouvoir n'est pas toujours manipulateur, mais aussi que la relation à l'autre n'est pas toujours conçue comme un rapport de force. La République et l'amour sont deux conceptions idéalistes qui se fondent sur le souci du bien d'autrui et non la satisfaction d'appétits personnels. Zola nous montre donc que le pouvoir ne se fonde pas nécessairement sur la manipulation, que le pouvoir n'est pas forcément la possibilité de faire faire à d'autres ce qui me plaît Mais si le pouvoir n'est pas toujours manipulation, peut-on encore dire que la manipulation est nécessairement synonyme de pouvoir ? [...]
[...] Zola formule donc l'hypothèse que la science serait seul pouvoir véritable de l'homme sur le monde, lui permettant de comprendre de manière rationnelle les mécanismes sous-jacents de l'action et du pouvoir. Conclusion La Fortune des Rougon manifeste, à travers l'ascension d'une famille au pouvoir et ses luttes intestines, les enjeux de pouvoir de toute scène politique. S'il apparaît dans un premier temps que les relations sociales sont dominées par les appétits de pouvoir de chacun et les constantes tentatives de manipulation, Zola n'en reste pas à ce constat et pousse plus loin la réflexion. D'une part, il engage la critique de ce pouvoir en le détrônant par la parodie. [...]
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