En 1252, Alphonse X succède à son père Ferdinand III sur le trône de Castille. Unie en 1230 au royaume de Léon, la Castille est alors divisée en trois merindades : les régions de Castille, Léon, et Galice. Le XIIIème siècle hispanique est toujours préoccupé par la reconquête chrétienne, et en 1266, seule la Castille conserve une frontière avec l'Islam, relégué au petit royaume de Grenade. Alphonse X, inspiré comme le fut son père par la figure biblique de Salomon, oeuvra à affirmer l'autorité royale tout en y adjoignant la vertu de la sagesse, alors que son règne cherche à ré-intégrer les populations musulmanes dans les territoires chrétiens. Dans ce projet, Alphonse X fit élaborer vers 1255 par les juristes de sa cour un ensemble de textes juridiques rédigés en Castillan, et qui servit par la suite de référence aux autres monarchies péninsulaires. Ainsi, de 1249 à 1256 fut rédigé le Fuero Real, de 1258 à 1261 l' Especulo, puis vers 1260 le Libro de las Siete Partidas, dont nous étudions ici le titre vingt-cinq intitulé Des Maures. Le Libro… est un code et un texte doctrinal d'inspiration très romaine, exaltant l'autorité du prince. Dans l'extrait qui nous préoccupe, divisé en dix parties, il est donné une définition du fait d'être maure, c'est-à-dire ici musulman ; il y a ensuite une incitation à convertir avec bon sens les maures au christianisme ; une condamnation du mépris des vieux chrétiens auquel se heurtent les nouveaux convertis ; puis de nombreux cas de « mauvaise conversion » sont envisagés, pour lesquels sont assignées des sanctions précises.
Que cet extrait nous apprend t-il sur la façon dont cohabitent chrétiens et maures au sein du royaume de Castille, et sur les idéaux politiques et sociaux d'Alphonse X ? Nous répondrons à cette question en étudiant tout d'abord l'ambiguïté de la cohabitation entre les trois communautés religieuses dans le royaume de Castille (chrétienne, maure, juive), puis nous soulignerons quels sont les projets auxquels Alphonse X fait référence dans ce chapitre.
[...] La volonté de répandre le christianisme en profondeur s'exprime dans le souci de convertir les maures par la conscience, et non par la force : Les chrétiens ne doivent pas travailler à convertir les maures et à les amener à partager notre foi, ni par la force ni par une promesse de récompense, mais par des mots justes et des sermons appropriés. (l.26-28) Ce désir exprime la piété d'un souverain qui non pas seulement obsédé par les reconquêtes territoriale, cherche à répandre une foi profonde à la manière des apôtres du Christ : Dieu ne contraint pas. [...]
[...] La conversion pouvait donner lieu à un affranchissement, mais elle n'est pas systématique, il existe des affranchis encore musulmans. Dans les villes chrétiennes ils ne doivent pas avoir de mosquées, ni pratiquer de cérémonies publiques. Les mosquées qu'ils possédaient autrefois sont propriété du roi, et il peut les donner à qui il veut. (l.18-20) Là est envisagé le sort des édifices religieux, qui passe sous le contrôle du roi. Nous pouvons évoquer le désir réprimé de l'archevêque de Tolède de faire de la grande mosquée de Tolède une cathédrale : Alphonse X s'y oppose totalement, certainement dans un souci de calmer les possibles tensions des populations maures. [...]
[...] On sait par ailleurs qu'Alphonse X aima s'entourer de lettrés des trois religions, ou de scientifiques. Et même si l'habitat était topographiquement séparé, les villes de Castille étaient un lieu de rencontre entre chrétiens, juifs, et musulmans. Cependant le roi eut une attitude très ambiguë envers les maures, et surtout envers les juifs qui peuplaient sa cour, comme nous l'allons voir. Bien que la loi des maure soit erronée, ils peuvent vivre au milieu des chrétiens en toute sécurité. On ne doit rien leur prendre de force ni leur voler. [...]
[...] L'extrait que nous avons commenté est donc avant tout un programme de base pour la juridiction et le règlement des affaires liées aux conflits entre les communautés religieuse, dans un souci d'améliorer la coexistence entre elles, peut-être, mais également de régler les comportements sociaux sur la volonté du souverain, souverain cherchant à établir, une fois pour toute, la domination de christianisme sur les autres religions. L'ambiguïté réelle du statut des musulmans comme celui des juifs dans le royaume de Castille est à ce titre assez révélatrice de la conjoncture sociale, même si la politique d'Alphonse X fut délaissée vers la fin de son règne. Les révoltes et crises sociales qui ne manquèrent pas de s'élever et de se confirmer, le discréditent aux yeux de la noblesse, et Alphonse meurt en 1284 quasiment abandonné de tous. [...]
[...] Il s'agit dans l'œuvre d'Alphonse X d'ordonner l'ensemble de la société suivant une hiérarchie stricte, et en spécifiant les droits et les devoirs de chacun, du roi au dernier de ses sujets chrétien, juif ou musulman, l'Eglise et tous ses membres compris. Le Fuero Real, cité en introduction, se heurte d'ailleurs à une vive opposition lorsqu' Alphonse X veut l'imposer comme seule norme juridique. Quant au Libro de las siete partidas, il ne fut finalement promulgué qu'un siècle plus tard. [...]
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