La fin du XIX siècle, marquée par les travaux de Charcot puis de Freud s'inscrit dans une investigation poussée de la psyché humaine. Celle-ci devient alors une thématique récurrente tant dans les domaines de la recherche médicale et psychiatrique que dans la littérature. Aussi ces deux champs habituellement si étrangers l'un à l'autre vont alors se croiser de façon remarquable. Philippe Lejeune indique d'ailleurs dans son article « Maupassant et le fétichisme » extrait du colloque de Cérisy en 1986 la troublante ressemblance entre les cas de perversion décrits par les sexologues de cette époque et les récits cadres de nombreuses nouvelles de Maupassant, telles que « la Chevelure » publiée en 1882 au sein du recueil Toine. Cette nouvelle met en scène un cas de fétichisme, perversion sexuelle qui vient alors d'être observée et qui ne recevra son nom qu'en 1887 grâce à Alfred Binet. Aussi il est intéressant de constater chez Maupassant, qui n'avait à l'époque que la connaissance scientifique de tout lecteur attentif à la presse, l'existence du pressentiment de cette déviance encore à peine connue, et dont il nous livre dans « la Chevelure » une description proche de celle d'un cas clinique. Les apports de la nouvelle critique en matière d'herméneutique et le besoin toujours plus ressenti de faire des sciences humaines un medium d'interprétation des œuvres littéraires tenant compte de leurs spécificités ont à ce jour doté la critique d'une certaine légitimité qui nous autorise une lecture psychanalytique des textes de Maupassant.
[...] En effet, on observe au cours de la nouvelle la présence répétée deux fois d'un même parcours qui va du fétiche à la femme suivant plusieurs étapes, ce que nous démontre Philippe Lejeune : Dans le prologue de son récit, le héros commence par parler, de manière très générale, de son goût pour les meubles anciens et les vieux objets, puis il précise : les montres de femmes, battant sur leur cœur, à l'heure de l'amour ; des femmes d'autrefois, mortes, qu'il peut aimer de loin Un premier trajet s'effectue donc des objets anciens vers les femmes de façon générale. Or on nous propose aussi un cas particulier de ce transfert : celui du meuble contenant la chevelure : J'achetai ce meuble et je le fis porter chez moi tout de suite. Je le plaçai dans ma chambre. Oh ! [...]
[...] Nous sommes donc bien ici face à un cas de fétichisme, mais contrairement aux récits cliniques réalisés par les spécialistes qui se présentent comme des descriptions de cas pathologiques, les nouvelles de Maupassant réalisent des mises en scène du symptôme et tentent de comprendre comment on peut devenir fétichiste. Philippe Lejeune affirme à ce propos : La démarche de Maupassant est en effet fondée non sur l'observation, mais sur l'imagination. Elle n'en est pas moins perspicace pour cela. Car elle repose sur deux questions que les psychiatres de l'époque évitent soigneusement. La première est : Et si moi, j'étais fétichiste ? ou plutôt : Si je devenais fétichiste ? On va entrer dans la perversion par une sorte de jeu de rôle. [...]
[...] C'est une sorte de nécrophile. On constate immédiatement le dégoût qu'inspire le fou au docteur et la volonté de ce dernier d'immédiatement classer le patient dans une catégorie bien définie afin de nommer son mal : la nécrophilie. Or, ce n'est pas de ça dont il s'agit, mais le fétichisme n'étant alors pas encore nommé, on le rapproche de cette autre déviance, qui était elle alors parfaitement décrite et si on puit dire, très à la mode. Face à ce scientifique qui reste très descriptif, à l'image de ce qu'étaient alors les descriptions pathologiques, le narrateur principal est lui vivement troublé par l'état physique du fou dont il nous propose une longue description, plus que par son vice : Il était fort maigre, avec des joues creuses et des cheveux presque blancs qu'on devinait blanchis en quelques mois. [...]
[...] La dimension fantastique de cette nouvelle sert assurément à dissimuler ce bien triste constat issu d'une interprétation rationnelle de la nouvelle, pour pouvoir le véhiculer tout de même. En effet, il est rassurant de croire que nous ne sommes pas responsables de nos folies et qu'elles sont issus d'êtres ou d'objets tentateurs, à l'image de cette chevelure maudite, dont la réalité n'est pas évidente et que, de fait, nous ne croisons jamais, plutôt que d'avouer que nous pouvons tous être touchés par ce mal dont nous portons les germes. [...]
[...] On peut ainsi non seulement le croire innocent, puisqu'il n'a jamais cherché la possession de la chevelure et n'a jamais troublé l'ordre public, mais encore le considérer comme une victime de ce même objet étrange. Dans tous les cas, le lecteur peut s'étonner de retrouver à la fin de la nouvelle cet homme inoffensif enfermé dans un asile, et se demander, très antipsychiatriquement, si ce n'est pas l'asile qui l'a rendu fou en le privant de sa compagne. (Philippe Lejeune) Cette fois, l'identification du lecteur est difficile à éviter, et on ne peut que compatir au sort de ce malheureux. [...]
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